Interpellation en Commission de l’Education du 16/01/24 sur la pénurie des enseignants
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Question (Nicolas Janssen). – Madame la Ministre, la crise des vocations et le blues des professeurs sévissent au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que dans la plupart des systèmes éducatifs. Parmi les indicateurs préoccupants à ce sujet, je rappellerai la diminution de 22 % du nombre d’étudiants inscrits dans une filière pédagogique entre 2022 et 2023. Il convient aussi de souligner les mesures concrètes prises par le gouvernement dans le but de lutter contre la pénurie. D’abord, il faut mentionner l’élaboration du pool local de remplacement à Bruxelles et dans la province de Hainaut. Au vu des résultats encourageants de cette mesure – 4 426 périodes ont été prestées lors de l’année scolaire précédente, dont 1 188 étaient des remplacements –, il a été question de renouveler ce projet pour l’année 2023-2024. À ce sujet, pouvez-vous nous faire part du nombre mis à jour de périodes prestées par les enseignants concernés ? Quel est l’état d’avancement des discussions qui concernent la prolongation de ce projet pilote ? Un élargissement de ce dernier à d’autres zones géographiques est-il envisagé ? Parmi les autres mesures visant à lutter contre la pénurie, je mentionnerai également la nécessité d’encourager les reconversions de carrière vers l’enseignement, notamment grâce à la reconnaissance de l’ancienneté barémique acquise en entreprise. Il serait intéressant de fixer, pour toutes les disciplines et tous les types d’enseignement, cette ancienneté à dix ans. À l’heure actuelle, dix années d’expérience utile sont effectivement reconnues, mais uniquement pour les enseignants de cours technique et de pratique professionnelle. Par ailleurs, cinq années sont reconnues pour les enseignants de langues modernes dans l’enseignement fondamental. Cependant, aucune expérience professionnelle ne peut être valorisée pour des fonctions de cours généraux. Madame la Ministre, vous avez plaidé pour une reconnaissance de quinze ans d’ancienneté afin d’attirer davantage d’enseignants de seconde carrière. Pouvez-vous faire le point sur cette reconnaissance de l’ancienneté barémique ? De considérables changements concernant les titres et les fonctions ont récemment été apportés afin que les écoles puissent recruter des professeurs dont le profil s’éloigne du titre requis. De nouvelles modifications seront-elles ajoutées par la suite ? Nous devons faire en sorte que les classes ne demeurent pas sans enseignants et que l’enseignement dispensé soit d’excellente qualité conformément aux projets, activités et décisions liées au contrat d’objectifs des écoles. Qu’en est-il de l’accompagnement des enseignants débutants par des enseignants qui présentent plus d’ancienneté ? Qu’avez-vous entrepris pour nommer plus rapidement ces nouveaux enseignants ? De manière plus globale, concernant l’attractivité du métier et le défi qui consiste à attirer les meilleurs élèves vers les filières pédagogiques, comment parler et sensibiliser les élèves à la profession ? Étant donné la relation pédagogique qui les lie toute la semaine à leurs élèves, les professeurs ne sont pas toujours les mieux placés pour les sensibiliser. Qui plus est, il serait utile que soit tenu un discours honnête sur les attendus et les réalités du métier, mais aussi un discours porteur, enthousiasmant et réellement inspirant. Comment procéder ? Avez-vous étudié des pistes à ce sujet ? Quel profil et quels axes convient-il de mettre en avant pour informer sur ce métier ? Enfin, lorsque l’enseignement est soumis à autant de réformes, il faut les annoncer au mieux aux membres du personnel, s’assurer qu’elles soient bien comprises par tous et que leur rythme soit soutenable, tout en veillant à ce que la communication s’établisse par un canal direct afin d’éviter que la désinformation ruine les efforts et, surtout, ne porte atteinte à la motivation des premiers artisans du changement.
Mme Caroline Désir, ministre de l’Éducation. – Ayant reçu les mêmes retours du terrain que vous, je suis consciente que la situation n’est pas facile dans les écoles en cette rentrée de janvier. Ce n’est une surprise pour personne qu’au cœur de l’hiver, les écoles soient confrontées, comme tous les secteurs, à une augmentation des cas de maladie chez leurs enseignants. À cela s’ajoute la difficulté de recruter des remplaçants, parfois pour des intérims de courte durée. Je rappelle que le pouvoir régulateur ne dispose pas, à ce jour, de données nous permettant d’établir un monitoring systématique des postes pourvus ou non liés à l’absentéisme ou la pénurie d’enseignants. Les informations en ma possession sont celles transmises par Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et les fédérations de pouvoirs organisateurs; ces acteurs les établissent selon des modalités et un calendrier qu’ils déterminent eux-mêmes, en évitant d’alourdir encore la charge administrative des directions dans des moments souvent déjà compliqués pour elles. À la fin du mois de novembre, j’ai communiqué les informations que j’ai reçues à ce sujet, et je ne manquerai pas de le faire à nouveau dans les prochaines semaines, lorsque les acteurs de l’enseignement m’auront transmis leurs données. En attendant, le monitoring de la paie des enseignants fait déjà émerger, pour les mois de novembre et de décembre, une tendance à la hausse des engagements pour remplacements de maladie: 599 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ont été remplacés par rapport à l’année précédente à la même période. Cette augmentation montre à tout le moins que, même si cela s’avère parfois très compliqué et que les solutions ne sont pas toujours idéales, les pouvoirs organisateurs continuent de trouver des possibilités de remplacement. Cela est d’autant plus notable qu’au vu des mesures de recrutement supplémentaires opérées dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, le nombre global des membres du personnel engagé continue d’augmenter. Entre 2019 et 2022, nous sommes ainsi passés de 85 937 à 89 168 ETP rémunérés. Je ne dispose pas encore de chiffres définitifs pour 2023. Ces constats n’enlèvent évidemment rien à la réalité de la pénurie, particulièrement marquée dans certaines régions ou fonctions, ni bien sûr à la nécessité de continuer à agir pour contrer ce phénomène. La pénurie qui touche la Fédération Wallonie-Bruxelles amène, bien légitimement, des candidats et candidates jeunes et moins jeunes à faire le choix de se tourner vers la carrière d’enseignant. Il est donc compréhensible que certains et certaines soient surpris de ne pas avoir accès, dès le début, à un poste aussi stable que celui auquel ils s’attendaient. C’est la raison pour laquelle nous avons adopté, au mois de juillet 2020, une série de mesures visant à stabiliser plus rapidement cette catégorie de membres du personnel et à leur donner plus rapidement accès à un statut protégé. En décembre 2022, ces mesures ont été complétées par d’autres, notamment la prise en considération dans l’ancienneté de service de toutes les expériences passées dans l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, que ce soit dans l’enseignement organisé ou subventionné. En effet, avant l’adoption de cette mesure, comme l’indique l’une des enseignantes interrogées dans l’article que vous évoquez, le calcul d’une partie de l’ancienneté permettant d’accéder à la nomination était effectivement cloisonné par réseau d’enseignement. Il y a donc eu des avancées significatives sur ces questions sensibles. Il appartiendra au prochain gouvernement de poursuivre ce travail en fonction de sa Déclaration de politique communautaire (DPC). Dans le cadre du Pacte, des moyens budgétaires ont également été dégagés pour permettre le développement de la carrière en trois étapes. Les membres du personnel expérimenté peuvent ainsi, dans ce cadre, servir de référent à l’accueil des enseignants débutants et les accompagner dans leur insertion professionnelle. Le choix des missions collectives à l’école relève des prérogatives des pouvoirs organisateurs après avis des organes de concertation de base. Sur un total de 6 891 périodes professeurs accordées aux écoles secondaires au cours de l’année 2022-2023, 6 782 ont été utilisées pour ces missions collectives et 413 ont été affectées à des référents pour les membres du personnel débutant. Dans l’enseignement fondamental, ce nombre s’élève à 445 sur un total de 7 339 périodes octroyées aux écoles. La réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE) vient seulement d’entrer en vigueur. Il est donc encore trop tôt pour en évaluer le contenu et le modifier le cas échéant. D’ailleurs, la RFIE s’accompagne d’un stage de longue durée qui doit précisément permettre aux futurs enseignants d’expérimenter davantage leur métier avant leur entrée en fonction. La Commission de coordination de la formation initiale des enseignants, de l’enseignement obligatoire, de promotion sociale et secondaire artistique à horaire réduit (COCOFIE) travaille actuellement de manière proactive sur les modalités opérationnelles de ce stage de longue durée. Outre la question du taux d’attrition des enseignants débutants, il faut également pointer celle de la FIE. Le chiffre très souvent avancé d’un enseignant sur trois quittant le métier dans les cinq premières années doit être nuancé. En effet, le taux d’abandon du métier est trois fois plus élevé pour les enseignants sans titre pédagogique que pour ceux qui sont en possession d’un titre après cinq années dans la profession, d’où la nécessité d’avoir une formation adaptée. Le pool de remplacement créé en 2022-2023 – et prolongé dans les mêmes conditions depuis la rentrée de l’année scolaire en cours – a fait l’objet d’une première évaluation en avril 2023 et d’une deuxième en octobre dernier. Le premier des deux rapports a d’ailleurs été transmis au Parlement en juillet dernier et le deuxième est en cours de finalisation. Quoi qu’il en soit, les évaluations du dispositif durant l’année scolaire 2022-2023 et les premiers mois de l’année 2023-2024 ont démontré que les acteurs de terrain qui y participent en sont majoritairement satisfaits. Le rapport d’évaluation d’août à septembre 2023 a mis en évidence plusieurs éléments. Tout d’abord, tous les dispositifs du pool 2022-2023 ont renouvelé l’expérience en 2023-2024. Au final, un peu plus de pouvoirs organisateurs et d’écoles participent au pool cette année, surtout dans la zone de Bruxelles. L’année scolaire passée, on dénombrait 10 pouvoirs organisateurs porteurs contre 14 aujourd’hui. En 2022-2023, le budget alloué permettait d’engager 48 ETP. Sur la base des annexes reçues par les services du gouvernement, les pouvoirs organisateurs avaient la possibilité de recruter 20 ETP, mais, finalement, seuls 11 membres du personnel avaient été réellement recrutés. En 2023-2024, le budget alloué permet toujours de recruter 48 ETP, mais, à la différence de 2022-2023 – année durant laquelle les recrutements ne pouvaient se faire qu’à partir du 1er décembre 2022, ce qui avait partiellement plombé le dispositif –, il était cette fois possible d’engager des membres du personnel sur le pool dès le début de l’année scolaire 2023-2024. Sur la base des annexes reçues au 31 octobre 2023, les pouvoirs organisateurs ont la possibilité de recruter 27 ETP. Au 31 octobre, 17 membres du personnel avaient été réellement recrutés. Il existe donc une différence de 10 ETP par rapport au potentiel de recrutement, mais, en théorie, ceux-ci pourraient encore être recrutés d’ici la fin de l’année scolaire. Les points forts identifiés par les enseignants du pool restent inchangés par rapport à l’année scolaire 2022-2023. Pour rappel, il s’agit du sentiment d’être utile, de vivre une expérience enrichissante, jouir d’une certaine stabilité, disposer d’une charge de travail allégée et d’un emploi attractif à court ou à long terme. Sur la base de ces éléments, j’ai proposé au gouvernement de prolonger le dispositif expérimental pour l’année scolaire 2024-2025, renouvelable une fois dans les mêmes conditions, afin de permettre au dispositif de poursuivre son déploiement avant d’envisager son élargissement à d’autres zones et à d’autres niveaux d’enseignement. La décision d’élargir ou pas reviendra in fine aux négociateurs de la prochaine majorité. J’ai demandé à mon administration de dresser, sur la base des données de la paie, le bilan de la mesure de valorisation de l’ancienneté pécuniaire pour les maîtres de seconde langue de l’enseignement fondamental dans les prochains mois. En effet, les données brutes du salaire ne me permettent pas d’en évaluer les effets. Parallèlement à ces dispositions décrétales, d’autres mesures ont été prises, dont la campagne de valorisation et de promotion du métier d’enseignant et un rapprochement entre les services régionaux chargés de l’emploi et l’Administration générale de l’enseignement (AGE). Les dernières données chiffrées de la campagne mettent en évidence le succès rencontré par les témoignages d’enseignants ou de personnalités et le site www.enseignerplusquunmetier.be. Les vidéos des ambassadeurs et enseignants ont rassemblé presque deux millions de vues. Le nombre total de personnes différentes touchées sur Facebook et Instagram dépasse 400 000. Plus de 38 000 clics ont été enregistrés vers le site d’information ciblant les personnes intéressées par le métier d’enseignant. Plus spécifiquement, environ 250 000 personnes ont été touchées sur Snapchat avec un focus sur l’orientation vers les études d’enseignant. Le rapprochement et la collaboration entre Actiris et le FOREM, d’une part, et l’AGE, d’autre part, a permis d’organiser des séances d’information et des actions ciblées sur les métiers de l’enseignement, tant à Bruxelles qu’en Région wallonne. Ces actions sont en voie de pérennisation. Par exemple, le 29 janvier prochain, se déroulera à la cité des métiers un «job day» permettant aux demandeurs d’emploi de rencontrer des représentants de pouvoirs organisateurs émanant tant de l’enseignement organisé que de l’enseignement subventionné. Le groupe de travail qui a réuni les acteurs institutionnels de l’enseignement a permis de dégager des pistes d’actions complémentaires, dont certaines font désormais l’objet d’un avant-projet de décret qui a été adopté en première lecture par le gouvernement le 30 novembre 2023 et soumis aux négociations réglementaires. Il s’agit de la création d’un statut d’expert dans l’enseignement obligatoire, à l’instar de ce qui est mis en œuvre dans l’EPS, de la prolongation du pool de remplacement ainsi que des aménagements visant à simplifier la passation des jurys CAP (certificat d’aptitudes pédagogiques), notamment pour des candidats et candidates déjà en fonction. Concernant les modalités de réintégration d’une fonction dans l’enseignement pour les membres du personnel en DPPR qui le souhaitent, une disposition leur permettant de poursuivre leur activité d’enseignant a été préparée, mais il existait un risque que, dans certains cas, ces personnes soient mieux rémunérées qu’un membre du personnel poursuivant sa carrière. Ladite mesure a donc été retirée à ce stade. Cependant, les travaux avec les services chargés des pensions se poursuivent malgré les obstacles rencontrés dans la recherche d’une voie permettant une reprise de service, même partielle, pour les membres du personnel ayant choisi de prendre une DPPR, un dispositif qui a été conçu dans son principe comme étant irréversible. Enfin, l’amélioration et la simplification de l’application Primoweb afin de garantir une information de qualité, ergonomique et lisible pour un large public. d’utilisateurs est bien inscrite dans les projets à développer par l’ETNIC, mais le calendrier de la mise en œuvre de cette mesure n’a pas encore été acté. Depuis le début de mon mandat, je n’ai pas cessé de lutter contre la pénurie des enseignants. Le prochain gouvernement en fera plus que probablement une de ses priorités. Il s’agit évidemment d’une nécessité absolue. Ma conviction est qu’il faudra, dans les cinq années à venir, continuer à prendre régulièrement des mesures de différents ordres dans la continuité de celles que nous avons déjà prises. Nous n’arriverons en effet à bout de ce problème qu’en inscrivant le travail sur le long terme tout en agissant de front sur différents niveaux, de l’attractivité du métier à l’amélioration des conditions de travail, en passant par un meilleur soutien professionnel aux enseignants et enseignantes, ainsi que par une simplification des outils administratifs. Le gouvernement a enregistré de réelles avancées dans la lutte contre la pénurie des enseignants. Il a effectivement tenu la plupart des engagements de la DPC et est même parfois allé au-delà. Le combat doit néanmoins continuer, dans un contexte où la pénurie de personnel s’est accrue dans tous les secteurs d’activités et frappe plus ou moins fortement l’enseignement dans tous les pays membres de l’OCDE.