Interpellation jointe du 18/04/23 à la Ministre Tellier sur l’annonce d’un objectif chiffré de protection de l’environnement pour 2030
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Question (Nicolas Janssen). – Madame la Ministre, à l’heure du constat d’une perte importante de notre biodiversité, la préservation de la faune et de la flore est un défi plus que prioritaire, et on sait combien cette thématique vous tient à cœur. Mon groupe se réjouit des avancées que vous avez portées avec le Gouvernement en la matière. À cet égard, à l’occasion d’une question que je vous posais récemment sur la stratégie Biodiversité 360°, vous précisiez que vous souhaitiez, je cite : « compléter le réseau d’aires strictement protégées pour atteindre au moins 5 % du territoire, à l’horizon 2030. Pour les aires protégées au sens large, l’objectif est d’atteindre les 30 % en s’appuyant sur la complétion et l’amélioration des outils existants ainsi que sur le renforcement des partenariats. » Madame la Ministre, afin de clarifier les concepts utilisés, pourriez-vous apporter des éclaircissements quant aux statuts de protection cités ? Quels sont les statuts de protection qui sont couverts respectivement par ces 5 % et par les 30 % visés ? Pourriez-vous préciser ces statuts, d’une part, selon les définitions adoptées en Wallonie et, d’autre part, par leurs équivalents définis par l’UICN ? Les standards internationaux définis par l’UICN nous permettent, en effet, de comparer nos objectifs à d’autres payes et régions. Pourriez-vous également apporter des éclaircissements sur les mesures concrètes reprises sous les différents objectifs chiffrés, voire comparer la situation de la Wallonie au reste de l’Union européenne quant à la reconnaissance d’espaces protégés ? Comment, finalement, se situe notre Région ? Enfin, pour revenir aux statuts des deux parcs nationaux évoqués par notre collègue Desquesnes, il me semble intéressant en effet qu’un cadre juridique clair définissant une gouvernance transparente soit établi au plus vite afin de garantir la pérennité de ce projet d’envergure et tellement nécessaire.
Mme Tellier, Ministre de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal. – Messieurs les Députés, je vous remercie pour ces différentes questions. Je me réjouis, Monsieur Desquesnes, de l’intérêt que vous portez à la protection et à la restauration de la biodiversité. Je partage cet intérêt. J’ai souhaité aller plus loin que votre groupe politique en concrétisant cet intérêt à travers différentes actions. Ainsi, nous tenons l’objectif de création de 1 000 hectares de réserves naturelles par an. Depuis le début de cette législature, plus de 3 500 hectares ont obtenu le statut de réserve naturelle. Nous tenons le rythme ambitieux qui a été établi dans la Déclaration de politique régionale. Ce n’est pas fini puisque de nouvelles réserves naturelles seront présentées cette année encore. Il s’agit d’une augmentation importante par rapport aux précédentes législatures. Ainsi, de 1989 à 2019, soit en 30 ans, seuls 9 000 hectares ont obtenu le statut de réserve naturelle en Wallonie. D’ici la fin de cette année, nous aurons protégé plus d’espaces naturels que durant les 10 années précédant mon mandat. Monsieur Desquesnes, à un rythme annuel, nous allons presque trois fois plus vite pour protéger la biodiversité. Pour autant, il ne s’agit pas de magie, comme vous l’évoquez, mais de mobiliser des moyens concrets à la hauteur de nos ambitions. Ainsi, j’ai restitué le soutien indispensable aux associations afin qu’elles puissent acquérir de nouvelles parcelles à protéger en tant que réserves naturelles agréées. Elles en avaient été totalement privées lors de la précédente législature. Je vais même plus loin. Dans le cadre du Plan de relance de la Wallonie et celui de l’Europe, nous avons obtenu des moyens sans précédent pour le DNF et les associations. L’objectif est l’acquisition, la restauration et/ou la valorisation de nouvelles parcelles. Ce sont plus de 2 500 hectares de grande qualité biologique supplémentaires qui en bénéficieront et rejoindront la surface totale d’aires strictement protégées d’ici 2026. De nombreux autres projets en faveur de la biodiversité dans le cadre du PRW ont été mis en œuvre ; je pense aux appels à projets pour la création d’espaces verts en milieu urbanisé ou à la création de deux parcs nationaux. La contribution de ces projets concrets, soutenus par des moyens inédits sur le plan budgétaire, nous permettra d’atteindre les différents objectifs fixés en termes de biodiversité d’ici 2030. À ce sujet, il me semble essentiel de préciser les objectifs liés aux aires protégées et strictement protégées, pour lesquels les communications du Gouvernement sur le sujet semblent avoir induit chez vous une incompréhension. Je peux le comprendre, il est vrai que les choses sont un peu complexes. Comme vous l’indiquez, la stratégie européenne vise à protéger 30 % du territoire à l’horizon 2030, dont 10 % de protection stricte. Cette ambition a été confirmée pour le volet 30 % à la COP15, notamment grâce à la Belgique, que je représentais à Montréal. Notre position au sein de l’Union, comme en dehors, était d’ailleurs très volontariste. Sur cet objectif, environ 20 % de la Wallonie fait déjà l’objet d’une protection ou de mesures de gestion en faveur de la biodiversité :
- l’ensemble du réseau Natura 2000 ;
- des réserves naturelles existantes ;
- des sites naturels classés au patrimoine.
Pour mettre en œuvre l’objectif de 30 %, nous prévoyons d’inclure de nouveaux types de zones en améliorant leur protection. Il s’agit par exemple de certains habitats d’espèces protégées et de forêts anciennes. Les parcs urbains pourraient éventuellement rentrer dans cette catégorie. Si ces chiffres ne sont pas encore définis, ils doivent encore être validés avec l’administration et les différents acteurs. Nous tendons déjà vers les 30 % de surfaces protégées à l’horizon 2030. Pour ce qui concerne les surfaces des aires strictement protégées qui entrent dans l’objectif européen des 10 %, elles représentent actuellement entre 2,5 % et 3 % en Wallonie. Elles concernent, d’une part, les réserves naturelles au sens large – qui représentent environ 1,5 % aujourd’hui sur les 5 % que nous ambitionnons –, mais aussi d’autres zones comme certaines unités de gestion du réseau Natura 2000 qui ont des exigences fortes assimilables à de la protection stricte. Uniquement pour les réserves naturelles, la Wallonie vise 5 % d’aires strictement protégées à l’horizon 2030 ; surfaces qui seront reprises au sein de l’objectif plus global des 10 % d’aires strictement protégées. Ces objectifs chiffrés sont en finalisation, en bonne concertation avec les administrations et les autorités concernées. Ils permettront de répondre au « Pledge », la demande d’engagement de l’Europe sur les aires protégées. Cet exercice complexe nécessite encore une réflexion chez la plupart des États membres. La majorité d’entre eux, dont la Belgique, a prévu de rentrer les données pour fin juin 2023. Concernant les parcs nationaux, je rappelle que l’un des critères de sélection de l’appel à projets était la composante biotique des territoires concernés. En effet, au moins 40 % de la surface du parc doit bénéficier soit d’un statut de protection déjà existant au sens de la LCN, soit de zones désignées comme réserve biologique intégrale dans le Plan d’aménagement forestier au sens du Code forestier, soit de zones naturelles au plan de secteur, soit de zones bénéficiant du statut de site classé au sens du Code du Patrimoine. De plus, au moins 75 % de la surface du parc national doit être reconnue comme d’intérêt particulier du point de vue biologique et/ou paysager, ou présenter un potentiel de restauration suffisant pour cette reconnaissance. Ceci comprend les sites de grand intérêt biologique, les forêts anciennes, les zones Ramsar, l’UNESCO, les réserves biogénétiques, ou encore les zones bénéficiant d’une mesure agroenvironnementale et climatique reconnaissant un degré d’intérêt biologique élevé. Bien qu’il n’existe effectivement pas de cadre juridique contraignant pour la protection de la biodiversité des parcs nationaux, les zones citées précédemment peuvent évidemment entrer dans les objectifs d’aires protégées, ou strictement protégées le cas échéant, un peu à la manière d’une poupée russe. Ainsi, dans le périmètre du parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse, 49 % de la surface est sous statut strict de protection au sens de la LCN. Plus de 90 % de la surface est reconnu comme précieux au niveau biologique ou paysager, ou présentant un potentiel pour atteindre ce seuil. Pour le parc naturel de la Vallée de la Semois, la surface sous statut strict de protection s’élève aujourd’hui à 56 % du périmètre ; 79 % sont reconnus comme précieux au niveau biologique ou paysager, ou présentant un potentiel pour atteindre ce seuil. Évidemment, l’entièreté des 51 000 hectares n’est pas reprise sous statut de protection stricte au sens de la LCN, mais près de la moitié de cette surface l’est déjà. Dans le cadre de la réalisation de leur plan directeur, les parcs nationaux vont également augmenter cette superficie et développer de nouvelles aires protégées. Ce périmètre n’est donc aujourd’hui comptabilisé – rassurez-vous –, qu’une seule fois dans nos objectifs de protection du territoire. Contrairement à ce que vous avancez, les parcs nationaux ne vont bien sûr pas tripler la superficie des zones strictement protégées. Mais demain, les parcs développeront – c’est prévu dans leur plan directeur – de nouvelles aires protégées qui viendront, quant à elles, compléter notre objectif chiffré en la matière. L’ambition des parcs nationaux s’intègre dans la volonté générale, partagée par l’administration et les associations, d’augmenter la surface sous statut de protection stricte pour atteindre, en Wallonie, l’objectif de 5 % de réserves naturelles qui, lui-même, s’inscrit dans l’objectif de 10 % de protection stricte. C’est vraiment cette idée de poupée russe qui est la plus pertinente pour se rendre compte de quoi on parle. À côté de cet effort conséquent pour enrayer le déclin de la biodiversité sur le plan des superficies, l’aboutissement de la stratégie Biodiversité 360° – dont le canevas a d’ores et déjà été validé par le Gouvernement – permettra de donner un cadre clair et partagé à ces actions. La stratégie est soumise actuellement à un rapport sur les incidences environnementales qui prendra fin dans le courant du mois de mai. Elle sera ensuite présentée pour adoption au Gouvernement wallon, avant d’être soumise à enquête publique. In fine, elle devrait être approuvée pour la fin de l’année. La révision de la loi sur la conservation de la nature devrait, quant à elle, aboutir en 2024. Elle permettra, entre autres, de donner un cadre juridique au réseau écologique wallon. L’approche se base sur une étude scientifique, qui permet dans un premier temps d’identifier les enjeux biologiques présents sur le territoire. La réflexion sur la connectivité entre les zones à enjeux et les potentialités de restauration, indépendamment du statut de protection des sites, est également intégrée. Pour aboutir à une proposition de carte du réseau écologique, la cartographie scientifique fera l’objet d’une analyse territoriale qui prendra en compte, notamment, le statut de protection, mais aussi l’affectation au plan de secteur. Il est probable que la majorité des zones bénéficiant d’un statut de protection strict au sens de la LCN se retrouvent dans les zones centrales du réseau. D’autres zones identifiées comme abritant des enjeux biologiques pourraient être proposées comme zones centrales complémentaires. Ces éléments sont en cours de discussion avec les partenaires du Gouvernement. J’ai proposé à mes collègues d’appliquer le principe « éviter, réduire, compenser » pour que les aménagements futurs n’engendrent pas d’impact négatif sur l’environnement. Il s’agit d’éviter d’abord toute perte nette de biodiversité dans l’espace et dans le temps, pour préserver les enjeux biologiques et les objectifs du réseau écologique. Actuellement, la méthodologie scientifique de cartographie des enjeux biologiques, de leur connectivité et des potentialités de restauration est en phase de finalisation. Les vérifications de terrain sont en cours et nous espérons obtenir cette base scientifique pour la fin de l’année 2023. En conclusion, nous avons mobilisé des moyens inédits pour protéger la biodiversité en Wallonie, par exemple à travers la reconnaissance de milliers d’hectares de réserves naturelles et la création de deux parcs nationaux. D’ici à la fin de la législature, tant la révision de la LCN que l’aboutissement de la stratégie Biodiversité 360° offriront un cadre uniforme et pérenne, pour que notre belle impulsion se poursuive à l’issue de la législature.
Réplique de N. Janssen. – Je remercie Mme la Ministre pour l’ensemble des précisions apportées. On est sur la bonne voie pour atteindre les objectifs 2030. C’est évidemment une bonne nouvelle. À vous entendre, Madame la Ministre, nous nous demandons si nous n’aurions pas pu être plus ambitieux par rapport aux objectifs. C’est une question. (Réaction de Mme la Ministre Tellier)
D’accord. J’allais dire que, par rapport aux objectifs aux aires strictement protégées, vu que si nous sommes déjà à 2,5 % à 3 % actuellement, l’objectif des 5 % en 2030 devrait être atteint. À nouveau, nous nous en réjouissons et continuons dans cette direction.