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Question (Nicolas Janssen). – Monsieur le Ministre, un récent reportage met en lumière une réalité préoccupante, portée en grande partie par votre prédécesseur, celle d’aménagements cyclables coûteux, peu lisibles et souvent inopérants du point de vue de la sécurité réelle des cyclistes. Ces fameuses bandes cyclables suggérées, peintes en rouge ou en ocre, fleurissent désormais dans de nombreuses communes wallonnes. Leur objectif affiché : mieux signaler la présence potentielle de cyclistes et inciter à une cohabitation plus respectueuse. Cependant, ces dispositifs n’ont aucun cadre juridique contraignant, ne sont pas toujours compris par les automobilistes et peuvent paradoxalement entretenir une illusion de sécurité plutôt que de réellement protéger les usagers vulnérables. Peut-être avez-vous vu le récent dossier du JT de la RTBF à ce sujet. Pire encore, certaines situations relevées, comme à Comblain-au-Pont, où un poteau se dresse au milieu d’un couloir censé protéger les cyclistes, traduisent non seulement un manque criant de concertation, mais aussi une forme d’amateurisme indigne de l’ambition affichée en matière de mobilité douce.
Ces aménagements, au coût non négligeable, apparaissent dès lors comme des « pistes cyclables du pauvre », pour reprendre les mots mêmes de l’institut Vias, alors que des pistes bidirectionnelles séparées et continues, comme celles réalisées à Colonster ou à Neupré, démontrent que des solutions efficaces existent lorsqu’une stratégie claire, interconnectée et concertée est mise en place.
Quels montants ont été investis par la Wallonie ces dernières années dans ces aménagements de marquage suggéré, ces bandes rouges et ocre ? Disposez-vous, Monsieur le Ministre, d’une évaluation de leur efficacité réelle ? Finalement, c’est là une partie importante de la question en matière de sécurité et de lisibilité pour les différents usagers. Ces installations n’ayant aucun statut juridique contraignant, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’en repenser l’utilité ou, à tout le moins, d’encadrer strictement leur usage pour éviter la confusion actuelle qui pourrait mettre en danger, au lieu de protéger ? La multiplication de ces faux aménagements ne risque-t-elle pas de diluer la crédibilité des vraies infrastructures cyclables ? Ne serait-il pas plus cohérent de réserver les moyens disponibles à la création de pistes séparées, sécurisées, continues et interconnectées, même si cela exige davantage de temps et de coordination ? Enfin, comment garantir à l’avenir que les communes et les usagers soient pleinement concertés avant tout nouvel aménagement afin d’éviter des projets incohérents, esthétiquement discutables, discontinus et parfois même dangereux ?
M. François Desquesnes, Ministre du Territoire, des Infrastructures, de la Mobilité et des Pouvoirs locaux. – Monsieur le Député, votre question repose sur un reportage de la RTBF intitulé « Les bandes suggérées : la piste cyclable du pauvre ». Je n’ai pas vu ce reportage, mais mon administration déplore le parti pris de celui-ci. Selon le SPW MI, en plus de diffuser de mauvaises informations, il ne donne pas la parole aux spécialistes wallons ou aux associations cyclistes. Ces dernières ont interpellé le SPW Mobilité et Infrastructures quant au contenu du reportage. Les bandes cyclables suggérées ne sont en rien des nouveautés. Elles existent depuis de nombreuses années dans tous les pays limitrophes et sont très répandues en Flandre où elles ont démontré leur utilité. Si les bandes cyclables suggérées n’existent pas juridiquement dans le Code de la route, en Wallonie, leur usage est encadré dans des normes techniques de la Sécurothèque du SPW MI depuis de nombreuses années. Ainsi, elles sont uniquement envisagées en agglomération où les vitesses pratiquées sont inférieures à 50 kilomètres par heure, et en priorité sur des liaisons cyclables structurantes où la place disponible ne permet pas d’envisager un autre aménagement.
Des recommandations existent aussi depuis de très nombreuses années concernant la couleur des aménagements cyclables. Ainsi, la coloration du revêtement, l’utilisation de matériaux différenciés et le marquage sont autant d’éléments qui peuvent contribuer à renforcer la lisibilité et la visibilité des aménagements cyclables. Il s’agit bien sûr d’aménagements de moindre efficacité qu’une piste cyclable sécurisée, d’une cyclostrade ou un RAVeL, j’en conviens bien.
Les bandes cyclables suggérées font donc partie de la palette des outils disponibles pour aider les gestionnaires de voirie à opter pour le meilleur aménagement cyclable en regard du contexte des lieux, des contraintes et des objectifs du projet. La bande cyclable suggérée n’est donc en rien un « faux » aménagement cyclable.
Enfin, au niveau concertation, il appartient aux communes, pour les projets qu’elles portent et dans le cadre de leur autonomie communale, de les mettre en œuvre ou non à l’échelle de leur territoire. Les processus participatifs lors des réaménagements de l’espace public sont utiles à cette fin. Pour les projets régionaux, une concertation existe d’ores et déjà avec différentes instances : les autorités locales, l’OTW et les zones de police via les processus en vigueur au sein du SPW Mobilité et Infrastructures.
Bref, pour ce qui concerne les investissements régionaux, ce n’est pas un agent qui décide un jour de mettre une telle coloration, de tels signaux sur le revêtement des routes régionales.
Je ne dispose pas d’informations quant à la part des dépenses du plan PIWACY qui aurait été affecté à de tels aménagements. L’évaluation en cours du plan PIWACY et les actuels États généraux de la sécurité routière devraient nous permettre d’y voir plus clair sur les priorités et outils favorables à la mobilité active et les conditions de leur mise en œuvre. Ce sur quoi je peux vous rejoindre, c’est la nécessité de cadrer tout cela. Je pense qu’il faut éviter, sur un tel enjeu, de tomber dans un débat par trop simpliste. La raison est plutôt du côté de la nuance. J’en suis convaincu.
Réplique de N. Janssen. – Le reportage de la RTBF donnait en effet le sentiment que le cadre réglementaire n’était pas suffisant, comme vous l’avez répété à l’instant, et qu’il y avait dans un certain nombre de cas un manque de coordination et de concertation. Vous avez dit que généralement c’était le cas, mais visiblement il y a eu de tristes exceptions. Ce qui contribue à donner ce sentiment d’une illusion coûteuse et qui n’apporte pas réellement la protection voulue, ce qui est très regrettable.