QO 09/10/23 au Ministre Henry : La considération du déphasage comme indicateur important en matière de rénovation énergétique
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Question (Nicolas Janssen). – Monsieur le Ministre, la rénovation énergétique des bâtiments est un enjeu central pour la transition vers une société durable. Il est toutefois important de reconnaître que la rénovation ne se limite pas à l’isolation contre le froid de nombreux bâtiments, en particulier dans les régions où les étés sont de plus en plus chauds et nécessitent une protection adéquate contre la chaleur. Or, un indicateur thermique souvent négligé dans la rénovation énergétique est le déphasage thermique, c’est-à-dire le temps que met l’énergie solaire à traverser un matériau. Il s’agit d’un paramètre essentiel à prendre en compte pour garantir le confort thermique et la performance énergétique des bâtiments, en particulier par temps chaud. Lorsque l’on aborde la rénovation énergétique des bâtiments, trois paramètres principaux doivent être pris en compte : la conductivité thermique, la résistance thermique et le déphasage thermique. Tandis que les deux premiers paramètres reçoivent généralement une attention particulière, le déphasage thermique est souvent négligé, voire ignoré, ce qui est une erreur majeure vu qu’il joue un rôle crucial dans la capacité d’un bâtiment à maintenir une température confortable en été. Un exemple concret illustrant cette négligence, si l’on peut dire, est l’octroi de primes pour l’utilisation du polyuréthane, un isolant très largement utilisé, comme on le sait. Bien que le polyuréthane soit efficace pour isoler contre le froid, il présente de graves lacunes en termes de déphasage thermique. Il est inefficace pour empêcher la chaleur d’entrer dans un bâtiment par temps chaud. Cette négligence du déphasage thermique signifie que des solutions moins coûteuses et plus durables, comme la laine de bois par exemple, sont souvent mises de côté. La non-prise en compte du déphasage thermique a un impact direct sur le confort des occupants et la durabilité des bâtiments. En été, les bâtiments mal isolés sur le plan de ce déphasage peuvent devenir de véritables étuves, obligeant les habitants à recourir à la climatisation. Cette surconsommation d’électricité entraîne non seulement des coûts supplémentaires, mais contribue aussi aux émissions de gaz à effet de serre et peut surcharger le réseau électrique. Pour remédier à la situation, il me semble important que la Région wallonne intègre le déphasage thermique comme critère dans ses incitants à la rénovation énergétique des bâtiments. Il s’agit d’une étape nécessaire pour encourager l’utilisation des matériaux et de solutions qui offrent une protection efficace contre la chaleur estivale tout en maintenant une isolation adéquate en hiver. Pourquoi dès lors négliger l’indicateur du déphasage thermique dans les incitatifs à la rénovation énergétique des bâtiments, alors que celui-ci est crucial pour prévenir les effets de la chaleur excessive dans les constructions ? Allez-vous prendre des mesures afin d’intégrer celui-ci comme critère dans les incitations à la rénovation énergétique afin de promouvoir des matériaux et des solutions plus adaptés aux besoins de refroidissement des bâtiments ? Dans le cadre de la rénovation énergétique, allez-vous encourager davantage l’utilisation de matériaux tels que la laine de bois, qui présentent de bonnes performances en termes de déphasage thermique et d’isolation à la fois contre le froid et la chaleur ? Quelle est, par ailleurs, la justification du maintien du financement et du soutien au polyuréthane, alors que cet isolant sera interdit en 2027 par l’Union européenne, et que son utilisation peut entraîner des inconvénients en termes de déphasage thermique et de performance énergétique en été ?
M. Henry, Ministre du Climat, de l’Énergie, de la Mobilité et des Infrastructures. – La rénovation des bâtiments est un levier essentiel de notre transition vers un monde zéro carbone – 16 % des émissions wallonnes. Toutefois, ce n’est pas seulement un avantage pour notre planète – notre habitat donc –, c’est également un avantage pour notre santé et notre portefeuille. La rénovation énergétique ne doit pas se limiter à l’isolation contre le froid, bien évidemment. Le risque de surchauffe est un sujet important et qui risque de devenir majeur. C’est d’ailleurs pour cela qu’il fait partie des exigences PEB que tout bâtiment neuf doit respecter, et ce, depuis 2010 déjà. Je rappelle que la PEB est régulièrement soumise à des critiques contradictoires. D’une part, il faut que le processus d’établissement reste abordable pour les propriétaires, donc que l’outil de calcul soit suffisamment simple, ce qui nécessite une approche imparfaite. D’autre part, il faudrait qu’il soit très fin dans sa précision, dans sa fiabilité, et couvre tous les cas. C’est un difficile dilemme auquel on doit faire face. Parce qu’elle est plus simple à utiliser, et donc plus adaptée à son statut de méthode réglementaire, vous devez savoir que la méthode de calcul PEB est une méthode de calcul dite statique. Or, si elle est parfaitement adaptée pour le chauffage, une approche statique donne de moins bons résultats pour l’évaluation des risques de surchauffe et des besoins de refroidissement. Idéalement, il faudrait utiliser une méthode dite dynamique, mais celle-ci requerrait un nombre de données à récolter beaucoup plus important, induisant tracas et coûts additionnels pour les propriétaires ; beaucoup trop en tout cas pour continuer de constituer une méthode réglementaire. C’est la raison principale pour laquelle le déphasage thermique n’est pas considéré dans la méthode de calcul et n’est pas pris en considération dans le cadre des audits logements, sur lesquels se base le système de primes. En revanche, même si aucune prime n’est liée directement au déphasage thermique, vous serez heureux d’apprendre que les matériaux performants pour ce paramètre sont néanmoins valorisés. En effet, vous savez certainement que les isolants biosourcés bénéficient d’une surprime en comparaison aux isolants synthétiques : entre 30 % et 36 % de surprimes selon le type de paroi isolée. Or, il apparaît que les matériaux biosourcés, tels que les panneaux de fibre de bois, la laine de bois ou la ouate de cellulose, sont aussi les matériaux qui présentent un temps plus long de déphasage. Concernant le polyuréthane, cet isolant est l’un des plus performants au niveau de la conductivité thermique. Il permet dès lors d’atteindre des performances d’isolation très intéressantes avec des épaisseurs plus faibles. Or, techniquement ou fonctionnellement, c’est souvent la seule solution permettant une isolation correcte, car l’épaisseur disponible pour le placement d’un isolant est limitée. Lorsqu’il sera interdit par l’Union européenne, il sera nettement plus compliqué d’atteindre les niveaux d’isolation requis, dans ces situations. Nous pourrions évidemment anticiper l’interdiction en question, mais cela est vrai pour un grand nombre de sujets, et les propriétaires sont déjà soumis à un nombre croissant de contraintes. Il est nécessaire de laisser à chacun du temps pour s’y adapter. En ce qui me concerne, j’estime plus stratégique et impactant de nous inscrire dans la tendance européenne, d’abord au niveau du renforcement de l’accompagnement à la rénovation d’une part, et de la mise en place d’un calendrier relatif à la performance énergétique des bâtiments existants d’autre part. La rénovation par quartier est une mesure importante de ma politique de rénovation énergétique. Elle a été largement instruite avec les acteurs de terrain. Elle est cependant particulièrement complexe et s’applique plutôt dans des zones au bâti uniforme, et nécessite une forme de standardisation des travaux de rénovation, si l’on veut qu’elle délivre des avantages pour les rénovateurs.
En très résumé, l’état des lieux :
- d’une part, Reno+, le consortium constitué de trois acteurs clefs du secteur de la construction, travaille, depuis de nombreux mois, à la standardisation d’une part de l’offre, et d’autre part des travaux. De plus, en ce moment même, il tente de monter deux trains expérimentaux, à Braine-l’Alleud et à Charleroi, et rencontre une grande quantité d’obstacles, dont le moindre n’est pas l’absence d’opérateur pour les mener – pas de réponse à un marché public –, et les difficultés au niveau des permis d’urbanisme. Ces expériences sont utiles, car elles permettent de trouver les solutions indispensables à l’émergence de ce modèle à grande échelle ;
- d’autre part, les membres de l’alliance ACER ont été impliqués dans la définition d’une stratégie de déploiement de rénovation à large échelle, stratégie qui comporte la mise en route d’une institution publique pour porter de tels trains. Cette stratégie a été présentée au Gouvernement en juillet et a confié la préparation de son opérationnalisation à la coordination de l’ACER. De nombreux paramètres doivent encore être définis, avant de pouvoir faire une offre crédible et fiable de prise en main de travaux de rénovation auprès des ménages. Les enjeux, les budgets sont, en effet, très conséquents.
Cela dit, dans cette vision, les travaux restent menés, concrètement, par des entreprises privées. Il n’est pas dans l’intention de créer une entreprise de travaux qui soit publique, auquel cas, les enjeux seraient encore plus importants et difficiles. Quant à la question du permitting et du financement, ils sont traités dans deux groupes de travail de l’ACER, avec des actions concrètes. En conclusion, énormément de choses se transforment et se réalisent pour faciliter et stimuler la rénovation énergétique, en bon ordre, même si, bien entendu, je souhaiterais que la réalité soit plus simple et facile à transformer qu’elle ne l’est. Comme vous le savez, nous avons augmenté les primes, les budgets ; nous avons déployé les plateformes Rénovation pour accompagner les ménages, mais nous avons aussi d’autres projets innovants en cours au sein de l’alliance Emploi-Climat-Rénovation qui, je l’espère, pourront porter des fruits importants dans les prochains mois et années.
Réplique de N. Janssen. – Merci, Monsieur le Ministre, pour votre réponse que je trouvais très didactique ; vous faites un très bon pédagogue. C’est un sujet relativement technique. Je suis toutefois convaincu que nous ne prenons pas suffisamment en compte le risque de surchauffe. Je regrette la méthode statique qui est utilisée. Vous avez rappelé l’intérêt qu’apporterait une méthode plus dynamique. Je me réjouis que les isolants biosourcés bénéficient d’une surprime. Je comprends le raisonnement quant aux bienfaits du polyuréthane et à la nécessité de laisser du temps aux utilisateurs pour s’adapter aux changements à venir en la matière.