QO 11/07/23 à la Ministre Tellier : La responsabilité de la région Wallonne quant aux dégâts dus aux corvidés
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Question (Nicolas Janssen). – Madame la Ministre, les dommages de culture causés par les corvidés sont le résultat de trois espèces : la corneille noire, le corbeau freux et le choucas des tours. Or, il semblerait que les dérogations ainsi que les mesures mises en place ne suffisent pas à enrayer les dégâts, à protéger les cultures et à préserver la petite faune de plaine. En effet, la loi sur la conservation de la nature – nous en parlions il y a quelques instants – sur laquelle se basent les dérogations accordées pour lutter contre les corvidés n’autorise à y déroger que dans le cas de dégâts importants. Des dérogations sont accordées, ce qui signifie que la Région reconnaît que les dégâts sont importants. Vous le confirmiez encore récemment. Afin d’objectiver la situation, je citerai le montant d’une expertise que m’a transmise un agriculteur, réalisée afin d’estimer le coût des dégâts des corvidés sur une parcelle agricole pour les années 2019 à 2022. L’estimation des dégâts s’élève, dans son cas, à 198 985 euros pour une parcelle de 50 hectares. Les corvidés ne reconnaissant pas les frontières, les agriculteurs voisins ont très probablement des pertes équivalentes. Ces chiffres sont interpellants. Dans le cadre de cet agriculteur, les expertises ont été transmises à l’Administration de l’agriculture et au DNF, afin de trouver une solution durable pour tous. Ce n’est malheureusement toujours pas le cas, cela n’a toujours pas été trouvé. Les agriculteurs, les maraîchers, les éleveurs et les défenseurs de la biodiversité demandent que notre Région prenne en main le rôle que lui donne la loi sur la conservation de la nature, c’est-à-dire gérer les populations, et trouver les moyens adéquats pour y parvenir. Les professions concernées s’interrogent sur les responsabilités de la Région quant aux dégâts dus aux corvidés. En l’absence de réponse adéquate à une situation qui devient réellement préoccupante, certains envisagent d’engager cette responsabilité si des solutions rapides ne sont pas apportées. J’ai été récemment sollicité et interpellé à diverses reprises en la matière. Vous le disiez récemment, Madame la Ministre : « L’enjeu est de trouver un équilibre basé sur des données objectives et scientifiques et en concertation avec les parties prenantes concernées ». Je suis pleinement d’accord avec vous. Maintenant que des chiffres et des études confirment une situation avérée, il convient d’agir et non de relancer d’autres réflexions qui prendront du temps. La révision de la loi sur la conservation de la nature est envisagée, mais il s’agit d’un processus encore relativement long. Dans l’intervalle, quelles mesures complémentaires concrètes avez-vous prises ou pouvez-vous prendre pour lutter contre les corvidés dans un certain nombre de cas ? Quelle est la réponse de la Région quant à sa responsabilité relativement aux dégâts qui leur sont dus ? Pour répondre de manière durable à cette problématique, certains corvidés pourraient-ils être considérés comme espèce de gibier ? C’est un cas qui a été envisagé par certains, et non plus comme espèce protégée visée par la loi relative à la conservation de la nature. Ce serait en fait plus conforme à la réalité selon certains, vu la densité de ces populations. Cette position qui permettrait d’appliquer des procédures plus simples est proposée par le pôle Ruralité, section Nature, du CESE, dans un courrier qui vous a été adressé, ainsi qu’au ministre Borsus. Une gestion des populations des corvidés et l’indemnisation des dégâts équivalente à celle du loup pourraient-elles par exemple être envisagées ?
Mme Tellier, Ministre de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal. – Monsieur le Député, il s’agit d’une thématique qui, il est vrai, est sensible dans nos zones agricoles et nos zones rurales. La cohabitation entre les activités humaines comme l’agriculture et les animaux sauvages, notamment les corvidés, constitue une question importante. L’enjeu est de trouver un équilibre basé sur des données objectives et scientifiques, en concertation avec les parties prenantes concernées. Ainsi, début 2023, j’ai mandaté mon administration pour qu’elle évalue les possibilités de modifier l’arrêté du Gouvernement fixant des dérogations aux mesures de protection des oiseaux. Le travail est en voie de finalisation et un arrêté visant à simplifier le traitement de ces dérogations sera prochainement présenté au Gouvernement. Je compte également proposer une adaptation de la loi de conservation de la nature qui simplifie et accélère le processus d’octroi de dérogation, notamment en permettant de se baser sur une position globale du pôle Ruralité plutôt que de devoir soumettre à avis chaque dossier individuel, ce qui me semble d’une lourdeur administrative excessive. Dans l’intervalle, je rappelle qu’une solution transitoire est en place. Depuis plusieurs mois, les agriculteurs peuvent entrer leur demande de manière anticipative. L’objectif est de pouvoir agir dès le constat de dommages importants dans les cultures dites sensibles. Effectivement, la procédure légale actuelle ne permet pas toujours d’obtenir une dérogation assez rapidement, malgré la diligence de l’instance d’avis et de l’administration. Cet hiver, mon administration a d’ailleurs réalisé un travail de concertation avec les représentants des agriculteurs, pour diffuser largement l’information relative à la procédure. La possibilité d’introduire des demandes collectives pour les corneilles a également été proposée. Le changement de statut de certains corvidés ne réglerait pas la majorité des dégâts agricoles ni ceux qui impactent la petite faune des plaines. En effet, la directive européenne sur la protection des oiseaux exclut la possibilité de les chasser durant la période de reproduction et de dépendance des jeunes. Dès lors, le classement de la pie bavarde et de la corneille noire comme espèces de gibier, par exemple, ne dispenserait pas, durant cette période, de l’obtention d’une autorisation dérogatoire sérieusement motivée. Par ailleurs, les dégâts causés aux cultures par certaines espèces animales protégées peuvent faire l’objet d’une indemnisation, mais les corvidés n’en font actuellement pas partie. Il n’est pas prévu de revoir ce système, compte tenu de ce régime dérogatoire délivré par le Département de la nature et des forêts, pour se prémunir localement des dégâts, mais aussi sur base des difficultés d’évaluation de ses propres dégâts. Un tel système ne pourrait pas être mis en œuvre, sans une estimation préalable des impacts budgétaires ni une évaluation des risques complémentaires engendrés. Nous devons, outre la facilitation des dérogations qui est déjà en cours et qui sera également accélérée à travers la révision de la loi de conservation de la nature, envisager une réponse plus systémique. Je pense notamment à l’amélioration des habitats sur lesquels nous travaillons, notamment à travers le projet Yes We Plant. La restauration est un maillage écologique qui permet de rééquilibrer la balance entre les espèces opportunistes comme la pie ou la corneille, et d’autres espèces qui sont plus exigeantes en matière d’habitat et, in fine, de réduire la présence de ces espèces dites généralistes. Par ailleurs, la mise au point de nouvelles solutions répulsives à base de substances naturelles dans le cadre de la protection des semences face aux corvidés est également une piste intéressante sur laquelle un projet de recherche est en cours. En conclusion, en tant que ministre de la Nature et du Bien-être animal, il est essentiel pour moi de permettre une cohabitation harmonieuse entre la faune sauvage et les activités humaines. Cependant, nous devons répondre aussi aux difficultés bien compréhensibles des agriculteurs sur le court terme. Nous devons tout mettre en œuvre pour voir plus loin, notamment en améliorant les habitats des plaines agricoles, au détriment de ces espèces opportunistes, afin que ces problèmes ne se répètent pas à l’avenir.
Réplique de N. Janssen. – Merci, Madame la Ministre, pour cette réponse très complète et ce souci que vous avez répété d’arriver à une cohabitation harmonieuse entre la vie humaine et celle de la nature. Cet équilibre, nous le recherchons. La solution transitoire permettra-t-elle réellement d’aller vers suffisamment d’efficacité ? En ce qui concerne les dérogations qui seront facilitées, à combien la loi sur la conservation de la nature permettra-t-elle d’aller dans la direction de ces dérogations que nous souhaitons faciliter ? J’espère que, notamment de la part des agriculteurs, ce sera considéré comme suffisant, ou que cela permettra de les convaincre pleinement que nous avons œuvré suffisamment à la poursuite de cet équilibre.