QO 12/12/23 au Ministre Henry : La position de la région wallonne à la COP28
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Question (Nicolas Janssen). – Monsieur le Ministre, vous avez participé à la COP qui se tenait du 30 novembre et qui se tient toujours puisqu’elle n’est pas encore terminée, mais c’est peut-être bon signe, finalement. On a envie de se dire qu’il y a peut-être encore un espoir que de bonnes décisions soient prises. Trois objectifs étaient au programme :
- la réduction progressive, voire l’élimination des combustibles fossiles, le système fossile ;
- le système d’échange de quotas d’émission de l’Union ;
- et un fonds « Pertes et préjudices » destiné à compenser les dommages causés par le réchauffement.
On se rappelle que la COP27 s’était terminée sur un sentiment d’échec. Seule l’idée d’un fonds d’indemnisation des pays du Sud avait fait l’unanimité. Par ailleurs, c’est la première année, depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, que les pays devaient faire le point sur les progrès accomplis depuis lors. Je ne reviens pas sur les polémiques qui ont entouré l’organisation de cette COP à Dubaï, mais allons plutôt sur les décisions prises et la perception que vous en avez. Sur le premier objectif, de ce qu’on voit dans les médias, il y a jusqu’à présent une immense déception. Alors de nouveau, jusqu’à présent, en tous les cas, comme vous le disiez, la COP n’est pas encore terminée. On aimerait pouvoir croire à un miracle. Pourriez-vous nous donner plus d’informations à ce sujet ? Quelle est votre perception des choses ? Par ailleurs, concernant l’autre objectif que j’évoquais le fonds « Pertes et préjudices », une série de questions contentieuses avait été transférée à un comité de transition qui avait comme mandat de mettre ce fonds sur pied. Pouvez-vous nous en dire plus ? Où en sommes-nous à ce sujet ? Pourriez-vous aussi tenter de dresser un bilan, une estimation des progrès qui ont été accomplis dans la lutte contre le changement climatique depuis l’Accord de Paris ? On fait évidemment régulièrement le parallèle avec l’évolution de la situation depuis lors et les engagements qu’on espère voir pris à cette COP. Quel est l’impact de ce constat pour la Wallonie ? Comment se positionne notre Région à ce sujet ?
M. Henry, Ministre du Climat, de l’Énergie, de la Mobilité et des Infrastructures. – Cette COP28 est le grand rendez-vous que nous nous étions fixé en 2015 lors de la COP21, pour faire le bilan mondial sur l’état d’avancement des différents objectifs de l’Accord de Paris en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement. Elle a débuté de la meilleure des manières en adoptant immédiatement, de façon constructive, une importante décision pour opérationnaliser le Fonds pour les pertes et préjudices à destination, en priorité, des pays les plus vulnérables aux effets délétères des changements climatiques en cours. Je m’en réjouis d’autant plus que vous savez l’importance que j’accorde à cette thématique. Ce nouveau fonds sera intégré à la structure de la Banque mondiale en tant qu’administrateur intérimaire. Cet arrangement sera réévalué après quatre ans. Il pourra être alimenté sur une base volontaire par un large éventail d’options de financement, faisant appel à des sources non seulement publiques, mais aussi privées, philanthropiques et innovantes. Tous les autres sujets sont, au moment où je vous parle, encore en cours de négociations et l’issue de celles-ci est encore tout à fait incertaine. On assiste, comme attendu, à une forte polarisation entre un grand groupe de pays ambitieux en termes d’atténuation, les pays développés et les pays en développement, d’une part, et un groupe conservateur autour de la Chine et des pays producteurs de pétrole, d’autre part, qui souhaitent limiter la politique climatique multilatérale à la facilitation des mesures nationales d’atténuation en fournissant des moyens de mise en œuvre. La décision la plus attendue, et faîtière de l’ensemble des travaux – dans la logique de ce que je viens de dire juste avant, dans la foulée de l’Accord de Paris – est l’approbation du bilan mondial sur cinq ans. Le Global Stocktake – ou GST – est au cœur du cycle d’ambitions de l’Accord de Paris. La base scientifique du bilan mondial est le sixième rapport d’évaluation du GIEC récemment finalisé, qui montre clairement que seuls des efforts supplémentaires rapides, ambitieux, à grande échelle et soutenus permettront d’atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Le bilan mondial doit façonner une transformation du système et de nouvelles trajectoires pour les efforts climatiques, et ce, pour tous les domaines, et donc l’atténuation, l’adaptation, le financement et une transition juste. Les négociations politiques en cours se focalisent sur les étapes nécessaires au-delà du constat. Le point le plus difficile concerne la sortie des combustibles fossiles. À cette heure, la formulation proposée est bien trop faible et ne permet pas d’enclencher le phasing out bien nécessaire. Il est clair que les déclarations du président émirati de la COP, M. Al-Jaber, la semaine passée, qui mettait en doute les liens avec les constats scientifiques, n’ont pas facilité les négociations. Par ailleurs, il subsiste aussi des volontés des pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil, de revenir vers le monde d’avant l’Accord de Paris, où ils étaient encore considérés comme des pays en développement. C’est évidemment un positionnement inacceptable au vu de leur puissance économique actuelle. Des problèmes subsistent également sur la décision sur la transition juste, car l’Union européenne veut centrer les efforts au niveau des États, et en particulier des travailleurs. C’est aussi une question d’équité et de droits humains. Les pays émergents veulent ouvrir ce concept, au risque de le diluer. Il existe aussi de nombreuses tentatives d’États pour introduire dans le texte des références aux financements conditionnels qui risquent de préempter sur les importantes décisions de flux financiers attendus à la prochaine COP29. Pour moi, tous les flux financiers devront être lus comme devant être alignés aux objectifs de l’Accord de Paris. À ces éléments majeurs, je peux aussi ajouter des divergences sur les objectifs en matière d’adaptation, les insistantes demandes de supprimer le nouveau mécanisme CBAM européen, la question de renforcer la transparence, et cetera. J’ai plaidé sur place pour que l’Union européenne mette sans relâche ses propres priorités à l’avant-plan plutôt que de réagir aux demandes des autres parties. Je dois signaler de ce point de vue là que d’abord c’est l’Union européenne qui négocie, même s’il y a des ajustements quotidiens européens et éventuellement belges. Et le mandat européen était clair depuis le départ et n’a pas bougé. Donc on est dans des questions de tactique, de discussions de la COP. Ce mandat avait bien sûr été validé par la Belgique et dès lors, l’absence de ma collègue, la ministre flamande, n’a pas vraiment eu d’impact de ce point de vue, et a en tout cas évité de rouvrir des discussions sur lesquelles nous avons déjà pris des décisions, à savoir la validation du mandat européen. Je suis aussi attentif à ce que l’accord final soit dans tous les cas équilibré, tant en matière d’adaptation que d’atténuation et de financement. Mais au-delà des négociations, j’ai aussi assumé mon mandat de vice-président d’IRENA. J’étais en effet porteur d’un message fort en termes de développement des énergies renouvelables. Ainsi, IRENA plaide pour un triplement de la production d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, ce qui figure dans la dernière version du texte GST. J’ai aussi souhaité qu’une mission économique puisse être organisée afin de mettre en valeur le savoir-faire d’entreprises wallonnes actives dans la transition. En collaboration avec l’AWEx et WBI, huit acteurs wallons sont venus présenter leurs compétences lors de deux side events en marge des négociations. Ce fut une réelle réussite, tant en matière d’image de marque de notre Région que de contacts professionnels des entreprises en vue de l’exportation de leur savoir-faire. Deux autres side events étaient aussi organisés à mon initiative avec WBI et l’APEFE sur les collaborations nord-sud. Enfin, la COP a été l’occasion de nombreuses réunions bilatérales, notamment avec les acteurs et ONG belges, comme à chaque fois, puisque c’est évidemment aussi un moment de multiplier et de poursuivre des contacts existants.
Réplique de N. Janssen. – Monsieur le Ministre, merci d’avoir tout d’abord fait le point sur cette COP. Mais on entend bien la difficulté de se mettre d’accord, notamment sur cette expression, que l’on utilise beaucoup, de « transition juste » et les implications, notamment en termes de sortie des combustibles fossiles. Vous avez utilisé le terme aussi d’un accord final « équilibré ». Espérons qu’on puisse y arriver. On a envie d’y croire encore, même s’il semble très peu probable.