QO 14/03/23 à la Ministre Désir : Consultation de pédopsychiatres cliniciens dans l’élaboration du guide d’EVRAS
-
Question (Nicolas Janssen). – Madame la Ministre, en réponse à mes questions relatives au guide pour l’EVRAS, lors des séances du 13 décembre 2022 et du 24 janvier 2023 derniers, vous avez précisé qu’au total, «plus de 145 personnes présentant une expertise en EVRAS ont participé à la rédaction des textes, auxquelles s’ajoute une équipe de 50 relecteurs externes spécialisés en pédagogie et en santé». Les personnes que vous avez mentionnées n’incluent pas de cliniciens, ce qui fragilise la pertinence de ce support. Un clinicien est un médecin pratiquant l’étude et le traitement des maladies par l’examen direct des patients. Il s’agit d’une personne qui a étudié la psychologie, mais qui pratique la médecine et qui est régulièrement en contact avec des patients. Cette personne est donc informée de la réalité du terrain. Parmi ces 145 personnes et 50 relecteurs, combien de cliniciens y a-t-il? Des cliniciens ont-ils validé le guide, d’une manière ou d’une autre? Si ces professionnels n’ont pas encore été impliqués, quand et comment le seront-ils?
Mme Caroline Désir, ministre de l’Éducation. – Mesdames et Messieurs les Députés, depuis quelques semaines, vous m’interrogez régulièrement au sujet de l’EVRAS. Au vu de cette récurrence, mais aussi de la nature de certaines des questions qui m’ont été posées, il me semble utile de revenir sur les fondements et les objectifs de l’EVRAS. D’où venons-nous ? Quel est notre projet ? À quoi sert l’EVRAS ? Comment la mettons-nous en œuvre? Tout d’abord, d’où venons-nous ? Depuis 2013 et jusqu’au début de la législature en cours, un simple protocole d’accord, très clair sur le plan des principes, engageait nos gouvernements. Dans les écoles, tout intervenant qui entendait faire de l’EVRAS était le bienvenu. Les modalités de ces interventions n’étaient pas définies. Il a fallu attendre la dénonciation de plusieurs interventions d’acteurs prosélytes pour que, en 2017, sur proposition de la ministre Simonis, le label EVRAS soit institué. En 2018, les stratégies concertées ont été constituées. Ces initiatives associatives soutenues par les gouvernements francophones avaient pour but de réunir les acteurs institués de l’école, de la jeunesse et de l’EVRAS et de déterminer des balises communes pour l’EVRAS. La législature en cours a ensuite débuté. Les nouvelles majorités composées en Fédération Wallonie-Bruxelles, en Région wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale se sont engagées communément dans la voie de la généralisation de l’EVRAS. Plusieurs ministres ont annoncé publiquement leur ambition en la matière: Barbara Trachte, Christie Morreale, Valérie Glatigny, Bénédicte Linard et moi-même. Notre horizon politique, défini par nos majorités respectives, est très clairement celui de l’alliance du libre choix de chacun et du renforcement des conditions du vivre-ensemble, de la lutte contre les stéréotypes et de la valorisation du respect, de l’écoute et des différences. Cet horizon doit permettre de faire progresser l’EVRAS en Belgique francophone. L’urgence est claire. Nous assistons à une recrudescence des actes violents dans nos sociétés, notamment à l’égard des femmes. Les violences intrafamiliales s’accentuent. Les réseaux sociaux ont envahi nos vies. Ils facilitent l’échange et la diffusion de contenus qui véhiculent des images, des idées et des comportements violents. Dans un tel contexte, nous devons plus que jamais offrir à nos enfants des outils leur permettant de développer un comportement responsable vis-à-vis d’eux-mêmes et d’autrui. Nous devons leur transmettre les bases du vivre-ensemble. Nous devons leur apprendre à être ouverts aux différences, à interroger les préjugés et à développer un esprit critique. En une phrase, nous devons leur permettre de trouver leur place dans la société et de s’y épanouir. Nous devons leur permettre de se construire en tant qu’individus libres de leurs choix personnels et affectifs, tout en étant respectueux des choix des autres, dans toute leur diversité. C’est à nous, Mesdames et Messieurs les Députés, de trouver cet équilibre, en évitant de tomber dans les positionnements radicaux et d’alimenter les peurs. Concrètement, quel est notre projet ? À quoi sert l’EVRAS ? L’EVRAS à l’école sert tout simplement à apprendre à vivre ensemble. Elle entend donner aux élèves les moyens d’apprendre à se connaître, à faire des choix éclairés et à se comporter avec les autres dans le respect des différences, et ce, sans prosélytisme, en fournissant simplement les éléments nécessaires pour aboutir à un échange rationnel et éclairé entre personnes issues d’horizons différents. L’EVRAS est d’abord une éducation affective. Elle apprend aux élèves à comprendre les émotions et les sentiments qui les traversent, à les canaliser et à les concentrer sous la forme d’une pensée raisonnée, avec laquelle ils pourront dialoguer. Il s’agit, par exemple, de reconnaître que l’on éprouve une gêne ou une peur à l’égard d’une personne différente de soi et d’apprendre à dépasser cette peur pour parvenir à tisser, au minimum, un contact respectueux. L’EVRAS est aussi un apprentissage relationnel. Comment interagir avec les autres ? Comment s’exprimer et communiquer dans l’altérité ? Comment apprendre à vivre avec ceux avec lesquels on ne s’entend pas ? Comment s’aimer soi-même et aimer tout court, dans le respect et sans violence ? Enfin, l’EVRAS est un apprentissage sexuel. Il s’agit d’apprendre à connaître son corps, à le respecter, à le faire respecter et à ne pas le mettre en danger. Il s’agit de comprendre en quoi ce corps peut être source de plaisir, autant que de souffrance, et de recevoir un minimum de recommandations pour se protéger, protéger les autres et s’épanouir. Ces apprentissages doivent évidemment être progressifs et tenir compte de ce que chaque enfant est capable d’intégrer en fonction de son âge. Comment mettre en œuvre la généralisation de l’EVRAS ? J’en viens ici aux questions du jour. Tout d’abord, je voudrais rappeler que, lorsque nos travaux autour d’un accord de coopération pour la généralisation de l’EVRAS ont commencé, les stratégies concertées finalisaient la rédaction d’un guide reprenant des balises communes à l’EVRAS. Ce guide devait être diffusé auprès de tous ceux qui voulaient en savoir plus sur le sujet. Il s’adressait donc au grand public. C’était l’objectif que s’étaient fixé les stratégies concertées depuis 2018, dans leur pluralité de secteurs, de formations, d’expériences et de missions. Ce guide a pour point commun des élèves, enfants et jeunes et vise à proposer, comme dans un catalogue, un éventail concret et utile d’éléments d’approche permettant aux adultes de répondre à des questions que se posent les jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ainsi, lorsque nos travaux sur l’accord de coopération ont été plus avancés, le guide était déjà ficelé. Rien n’indiquait la moindre opposition ou critique sur le travail réalisé par les participants. Très simplement, nous avons considéré qu’il était pertinent de l’annexer comme tel à l’accord en discussion afin de répondre à l’un de nos objectifs annoncés, à savoir donner un cadre de référence commun aux activités EVRAS auprès des enfants et des jeunes. Ce n’est qu’une fois le guide diffusé que le débat a été déclenché. L’antenne belge de l’Observatoire de la petite sirène, un mouvement d’opinion comptant des membres qui se sont montrés actifs notamment dans la Manif pour tous et la lutte contre la procréation médicalement assistée pour toutes en France et qui refusent le principe de l’auto-détermination des personnes transgenres, jette l’opprobre sur le guide avec pour principal argument qu’il n’a pas pu compter sur le concours de pédopsychiatres. Dans le débat et les interventions médiatiques qui s’en sont suivies, trois critiques ciblées ont été relevées. Je me suis engagée à solliciter les stratégies concertées pour réviser le guide à ces trois endroits précis. Je rappelle que les rédacteurs du guide étaient des professionnels de l’EVRAS issus de divers horizons. Vous avez évoqué, Monsieur Janssen, le nombre de professionnels concernés. Aucun d’entre eux n’avait effectivement un profil de clinicien, mais dans le cadre des travaux d’amélioration, des échanges ponctuels ont eu lieu avec des pédopsychiatres afin de diversifier encore les angles d’approche. Soulignons néanmoins que l’EVRAS et le guide réalisent une démarche de sensibilisation, pas de prise en charge thérapeutique. Les trois corrections proposées par O’YES, qui a coordonné le travail jusqu’ici, ont été présentées aux stratégies concertées et sont aujourd’hui validées par la grande majorité des acteurs. Deux corrections d’écriture ont été réalisées et la fiche relative aux sextos a été retirée du guide.L’introduction générale a également été retravaillée afin d’ajuster les éléments de contexte à ce qui constitue désormais une annexe à l’accord de coopération en parcours d’adoption. Des précisions importantes doivent être mentionnées, notamment le fait que ce guide est destiné aux intervenants formés et pas aux jeunes. Il propose des balises pour aider l’adulte à répondre aux questions que se posent les jeunes sans les anticiper. Ces balises sont proposées dans un référencement par âge qui n’est qu’indicatif. Il revient à chaque adulte responsable d’apprécier quelle information est adéquate pour le groupe avec lequel il interagit. Force est de constater que la polémique a polarisé les postures, alors que le travail des stratégies concertées avait justement permis d’éviter ce climat. C’est non seulement dommage, mais c’est aussi très dangereux, car certains n’ont plus de gêne à laisser penser que l’EVRAS serait une entreprise stratégique organisée au nom d’une soi-disant idéologie transgenre visant à faire des enfants soumis à l’obligation scolaire les transsexuels de demain. Soyons sérieux, restons responsables. Qui peut sérieusement soutenir des thèses pareilles ? Aucune des parties à l’accord de coopération ne souhaite ou ne défend cela, aucun acteur des stratégies concertées ne souhaite cela. La volonté commune que nous poursuivons est à l’opposé d’une tentative d’imposer des points de vue ou des manières de vivre. Nous voulons au contraire protéger l’EVRAS de toute influence idéologique, nous voulons offrir à nos enfants ce dont ils ont besoin pour grandir, ce qu’ils doivent savoir en toutes circonstances pour se protéger. Nous voulons les aider vis-à-vis des interrogations qu’ils ont, leur apprendre à rester ouverts, les préparer à faire les choix qui seront bons pour eux et à faire ces choix seuls pour eux-mêmes, sans que rien ne leur soit imposé dans leur vie personnelle et sans qu’ils soient tentés d’imposer des choses aux autres. L’accord de coopération poursuit son parcours, en annexe de la version revue du guide dont je vous ai détaillé les modifications, ainsi que du document transversal au référentiel, sur lesquels pourra s’appuyer le corps enseignant. La nouvelle version du guide est entre les mains d’O’YES et des stratégies concertées. Je suppose qu’il sera mis en ligne tout prochainement.
Réplique de N. Janssen. – Madame la Ministre, je vous remercie aussi pour ces éléments de recontextualisation et pour l’historique très utiles et intéressants. Vous affirmez que nous devons éviter de polariser les postures, ce qui est également ma volonté et celle de beaucoup de personnes parmi celles qui ont réagi sur ce sujet. Je regrette d’avoir dû revenir trois fois vers vous pour entendre aujourd’hui qu’aucun clinicien n’a participé à la rédaction de ce guide. Bien évidemment, des professionnels ont contribué à la rédaction de ce guide et ils ont réalisé un très beau travail, mais, comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, la participation de cliniciens me semble indispensable pour donner au guide un maximum de légitimité. Cela devrait lui permettre d’obtenir le consensus et la crédibilité qu’il mérite. Madame la Ministre, vous l’avez constaté vous aussi, le sujet est sensible. Faisons tout ce que nous pouvons pour donner à ce guide autant de légitimité que possible. Nous constatons que des erreurs de ce type ont été commises dans une série de pays pionniers. Soyons suffisamment prudents et évitons un jour de devoir faire marche arrière sur certains sujets. Assurons-nous qu’il y ait une relecture approfondie de ce guide, notamment par des cliniciens, ce qui permettra aux acteurs concernés de prendre les meilleures décisions. La distinction entre les professionnels de l’EVRAS et les cliniciens est importante dans ce contexte, parce que les cliniciens sont mieux conscients de certaines réalités, de certaines implications possibles sur des sujets d’une telle importance.
(À la question de Mme Schyns (Les Engagés) : est-ce qu’il y a désormais un accord de toutes les parties prenantes, à savoir les PO, les associations de parents et les syndicats ? La Ministre a répondu : En effet, à la suite de cette polémique, des acteurs n’ont pas donné leur accord.)
Ces articles pourraient également vous intéresser
-
Question parlementaireCatégorie: Éducation & enseignement
QO 23/05/23 à la Ministre Désir : Canal de communication avec les enseignants
En savoir plus -
Question parlementaireCatégorie: Éducation & enseignement
QO 23/05/23 à la Ministre Désir : Problématique liée à l’ordre de passage des examens externes du certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS)
En savoir plus -
Question parlementaireCatégorie: Éducation & enseignement
QO 23/05/23 à la Ministre Désir : Éducation relative à l’environnement et au développement durable (ErEDD)
En savoir plus