QO 17/12/24 au Ministre Coppieters : la présence importante d’acide trifluoroacétique (TFA) dans l’eau issue d’une source wallonne
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Question (Nicolas Janssen). – Monsieur le Ministre, en Belgique, il semblerait que 28 substances soient autorisées dans des pesticides couramment utilisés en agriculture dont la structure chimique indique qu’ils se dégradent en acide trifluoroacétique ou TFA. Un rapport récent d’ONG nous indique des concentrations très élevées de TFA dans un cours d’eau wallon. Selon l’Autorité européenne pour la sécurité alimentaire, les autorités sont au courant depuis 2017 de la présence de ce métabolite TFA qui s’accumule irrémédiablement dans nos eaux souterraines et qui est potentiellement toxique. Malheureusement, ce métabolite n’avait jamais fait l’objet des suivis nécessaires en Wallonie avant la sortie de ses rapports récents.
Le 17 octobre dernier, la Société wallonne des eaux a publié les résultats de son monitoring. Ce rapport détaillé indique des niveaux régulièrement élevés de TFA dans l’eau de distribution. Le Conseil scientifique indépendant a récemment proposé comme valeurs guides 2 200 nanogrammes par litre si le seul TFA est présent dans l’eau. Dans le même temps, l’EFSA a été mandatée par la Commission européenne pour fixer une valeur toxicologique de référence pour le TFA. Toutefois, la contamination se poursuit et les risques pour l’environnement et la santé, tant des citoyens et consommateurs que des producteurs agricoles qui manipulent ces produits, perdurent.
Dès lors, envisagez-vous de faire du TFA un des marqueurs étudiés dans le cadre du suivi épidémiologique des agriculteurs ? Envisagez-vous par ailleurs de faire tester les résidus de TFA dans le sol pour évaluer la contamination de nos terres agricoles, ainsi que la présence de résidus dans les aliments que nous consommons ? Enfin, si, comme la science tend à le prouver, les pesticides comprenant des substances per- et polyfluoroalkylées sont largement à l’origine de cette contamination, quelles actions menez-vous pour agir à la source, sachant que les chiffres montrent qu’en Belgique, en particulier en Wallonie, dans notre région, les ventes de ces substances sont en augmentation ?
Yves Coppieters, Ministre de la Santé, de l’Environnement, des Solidarités et de l’Économie sociale. – C’est vrai que l’étude que vous mentionnez signale une concentration en TFA de 3,2 microgrammes par litre dans une eau minérale produite en Wallonie, ce qui pose question. Comme vous le savez, l’autorité chargée de se pencher sur les aspects de sécurité alimentaire des produits alimentaires commercialisés, dont l’eau minérale, relève du niveau fédéral. Mon administration est cependant à la recherche de l’origine de cette contamination.
J’observe aussi que la région de Philippeville, la plus touchée par les TFA pour l’eau embouteillée, l’est aussi pour les eaux distribuées par le réseau public. Le point commun consiste a priori à une activité agricole soutenue et des captages en général vulnérables dans les nappes calcaires du sud namurois. Comme toutes les prises d’eau potabilisables, les deux sources de Villers Monopole font l’objet d’analyses complètes à transmettre régulièrement à notre administration dans le cadre des programmes de surveillance des plans de gestion de districts hydrographiques, les PGDH. Toutefois, le contenu des analyses à transmettre par ces exploitants à mon administration n’incluait pas encore le TFA, ni même les PFAS, ce que je compte bien sûr corriger rapidement.
Par ailleurs, les zones de prévention de ces prises d’eau de Villers Monopole sont programmées et une étude hydrogéologique est en cours pour les délimiter. Il est donc prématuré de définir les mesures utiles à prendre à ce stade en matière de TFA.
Comme évoqué lors de la précédente commission, le principe de précaution et la méthode science based, comme vous le dites, ne sont pas antagonistes, mais plutôt complémentaires. En effet, la méthode basée sur les preuves scientifiques est basée sur les connaissances, comme son nom l’indique, mais lorsque celles-ci sont insuffisantes, il est courant d’employer des facteurs d’incertitude afin de définir une valeur qui est utilisée comme principe de précaution. Et c’est le cas pour les TFA, pour lesquels il n’y a pas de littérature scientifique sur les effets sur la santé et donc pas de norme, ou en tous cas de valeurs cibles limites qui sont proposées.
Toute l’action de mon cabinet autour de TFA s’appuie donc sur ces deux démarches. Un principe de précaution pour la santé publique, mais un principe aussi de réalisme par rapport à des normes ou des valeurs cibles que l’on peut fixer. Nous ne voyons dès lors pas de contradiction entre une valeur de précaution fixée en Wallonie – cela passe en Gouvernement en deuxième lecture – de 2,2 microgrammes par litre pour le TFA visant à rechercher et maîtriser ces sources de pollution et une valeur de toxicité, « basée sur les preuves », qui pourrait être une valeur de 15,6 microgrammes par litre, récemment suggérée par le VITO en Flandre visant à protéger la santé des consommateurs.
Concernant les pesticides « contenant du TFA » et de leur éventuelle interdiction, sachez qu’il n’y a pas de pesticides qui contiennent en fait du TFA stricto sensu. Par contre, il existe des pesticides – dont 22 que l’on utilise en Région wallonne – qualifiés de PFAS – donc contenant des PFAS – parce qu’ils contiennent au moins un groupement chimique CF3 qui pourrait théoriquement produire du TFA lors de leur dégradation des molécules en métabolites. Cependant, ces considérations ne reposent sur aucun travail scientifique, aucune connaissance scientifique actuellement. Pour l’immense majorité d’entre eux donc, c’est une hypothèse qu’il y ait des métabolites de type TFA qui soient produits.
Ainsi donc, sur les 31 substances actives ayant une telle structure chimique agréée en Belgique comme produits phytopharmaceutiques, la démonstration de la présence de TFA comme métabolite principal ou secondaire n’a été faite que pour deux d’entre elles : le flufénacet, un herbicide utilisé en céréales, en maïs et en pommes de terre et le fluazinam, un fongicide utilisé en pommes de terre, oignons, échalotes et plantes ornementales.
Interdire l’usage de ces pesticides est une tâche complexe. Tout d’abord, l’autorisation des substances actives se fait au niveau européen. On appréciera que le flufénacet est précisément en train d’être analysé pour son éventuel renouvellement à l’échelle européenne et que l’on s’oriente probablement vers un non-renouvellement ; tant mieux. Si la substance active est interdite au niveau européen, les produits commerciaux qui la contiennent seront retirés du marché avec un délai d’application qui peut varier entre six et 18 mois.
En ce qui concerne les produits formulés, comme vous le savez, les autorisations de mise sur le marché relèvent du niveau fédéral. La Wallonie ne peut pas interdire l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique sur l’ensemble de son territoire. Le Conseil d’État a en effet jugé en janvier 2021 qu’une telle interdiction équivalait de facto à une interdiction de vente sur le territoire wallon, ce qui correspond à un acte déloyal vis-à-vis du Fédéral.
Pour en venir au dosage du TFA dans les diverses matrices environnementales ou les aliments, la ligne directrice PFAS à destination des experts agréés va être mise à jour fin 2024. Cette mise à jour comprendra des recommandations pour l’investigation des pollutions locales en TFA dans les sols et l’eau souterraine et plus spécifiquement les sources spécifiques de pollution et des valeurs limites pour ces substances.
L’AFSCA, qui est compétente pour le suivi des résidus dans les aliments, nous informe par contre que le TFA n’est actuellement pas normé ni analysé dans les aliments. Enfin, le dosage du TFA chez les agriculteurs ne peut actuellement être envisagé. Son dosage dans les matrices humaines, donc le sang, les sérums ou les urines n’est en effet pas encore suffisamment fiable. Des recherches au niveau européen sont en cours pour mettre au point des méthodes analytiques pour les PFAS à chaîne courte, donc les TFA et ultracourtes pour savoir les mesurer dans l’avenir, dans les sérums et dans nos urines.
Réplique de N. Janssen. – Restons particulièrement vigilants. Votre réponse particulièrement complète et détaillée indique combien vous avez décidé de prendre ces matières à cœur et d’offrir toute la sécurité nécessaire en la matière.