QO 19/02/24 au Ministre Henry : La capacité insuffisante du réseau électrique wallon
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Question (Nicolas Janssen). – Monsieur le Ministre, comme cela a été dit – et comme nous le savons –, l’importance d’une capacité de réseau électrique adéquate en Wallonie ne peut être sous-estimée pour atteindre l’objectif de neutralité carbone fixé à 2050. Nous devons disposer d’un réseau suffisamment robuste et flexible. Nous avons déjà souvent débattu ici de la nécessité d’investir suffisamment dans ce réseau. Un cadre cohérent permettra les investissements nécessaires au développement d’une infrastructure suffisamment moderne et répondant notamment à la problématique évoquée par les collègues des décrochages d’onduleurs. Pour inciter les gestionnaires de réseau de distribution à résoudre ces problèmes, des sanctions financières sont envisagées. Leur mise en œuvre soulève toutefois des questions complexes, la question du financement de cette indemnité restant en suspens. Si ces paiements devaient diminuer les dividendes des communes actionnaires des GRD, cela pourrait affecter les ressources disponibles pour l’entretien du réseau et les investissements futurs. Pour rappel, la CWaPE prévoit une enveloppe de coûts additionnels de 330 millions d’euros par an entre 2025 et 2029 pour financer les coûts de la transition énergétique au niveau du réseau de distribution. Comment cela se traduirait-il sur notre facture d’électricité ? Selon la CWaPE toujours, cela se traduirait par quelques pourcentages de supplément par an. Actuellement, les coûts de distribution représentent un cinquième de notre facture. À l’avenir, cela pourrait vraisemblablement être davantage. Trouver cet équilibre subtil n’est pas aisé. Quelles mesures mettons-nous en place afin de concilier la protection des prosumers et le développement de notre réseau électrique ? Plus précisément, comment garantissez-vous une juste compensation pour les prosumers victimes de décrochage d’onduleurs tout en préservant les budgets des GRD afin de ne pas compromettre le besoin pressant de développement de notre réseau électrique ? Quelle est votre évaluation des tensions actuelles entre le GRD et le régulateur wallon concernant cette question du financement des indemnités ? Comment jouer pleinement notre rôle dans cet énorme enjeu de l’électrification ? Comment éviter de tomber dans une forme de boucle infernale où les GRD n’auraient pas suffisamment de budget pour améliorer le réseau, entraînant ainsi davantage de décrochages et de demandes de compensation ?
M. Henry, Ministre du Climat, de l’Énergie, de la Mobilité et des Infrastructures. – Messieurs les Députés, je vous remercie pour vos nombreuses questions et interpellations. L’idée d’une pax electrica, Monsieur Antoine, est intéressante, mais vous conviendrez qu’il s’agit essentiellement d’une problématique liée à la CWaPE puisque c’est elle qui a la compétence exclusive des tarifs de distribution. Il convient de dissocier, me semble-t-il, la question des tarifs et la question du financement, qui sont deux réalités différentes. Je voudrais préciser que les importants besoins de financement des réseaux d’électricité résultent en grande partie d’une augmentation attendue des consommations d’électricité. Ceci est la conséquence d’une transition énergétique basée sur des sources d’énergie renouvelable qui favorise de nouveaux usages électriques. Il s’agit de process industriels, mais aussi de la multiplication de véhicules électriques, des pompes à chaleur, et cetera. Ces investissements supplémentaires pourront donc être amortis sur un plus grand nombre de kilowattheures, ce qui signifie que les tarifs – exprimés en euro par mégawattheure – n’augmenteront pas forcément. Si, en outre, grâce à une meilleure flexibilité des consommations, on réussit à obtenir une meilleure utilisation des réseaux et des infrastructures de production – exprimés en heures d’utilisation par an –, cela devrait même conduire à une diminution du tarif en euros par mégawattheure. La question du tarif peut donc être traitée par la CWaPE de façon sereine. En revanche, la vitesse de la transition impose des investissements importants qui peuvent difficilement être supportés par les actionnaires actuels des GRD, c’est-à-dire essentiellement les communes. Ceux-ci pourraient y parvenir, mais, en contrepartie, ils demandent un taux de rémunération difficilement supportable par les consommateurs. Il est donc temps, probablement, d’envisager d’autres modes de financement, comme vous le suggérez dans votre question. Il ne s’agit pas de vendre nos réseaux, car le bénéfice à court terme nous rendrait terriblement fragiles à l’avenir, mais des instruments financiers existent sur le marché qui permettraient, contre une garantie de remboursement, de disposer de capitaux importants à faible taux d’intérêt. Une possibilité pourrait être une participation directe de la Région dans le capital des GRD. Cela existe dans d’autres secteurs et permet de mener une politique cohérente avec des coûts contenus. Le but n’est pas tant d’anticiper de précieux rendements pour le futur, mais de rendre notre région accueillante en termes énergétiques, tant pour nos entreprises que pour nos citoyens. Toute adaptation dans ce sens devra faire l’objet de négociations importantes qui ne peuvent plus s’envisager sous cette législature – vous vous en doutez bien –, mais les défis actuels nécessitent qu’une telle piste soit explorée dans les prochains mois, en vue d’une prochaine législature. Je partage totalement, Monsieur Janssen, votre analyse sur le défi que représente pour les GRD et la Wallonie le fait de disposer d’une capacité suffisante sur les réseaux électriques pour assurer la nécessaire transition énergétique. Vous m’interrogez sur ce que fait le Gouvernement à cet égard. Je vous rappellerai donc les importantes subventions accordées dans le cadre du Plan de relance, avec l’aide financière de l’Europe, pour un montant de 214 millions d’euros. Cette subvention est intégralement consacrée à la modernisation des réseaux de distribution. Au-delà de ces moyens financiers, le Parlement a approuvé un décret tarifaire qui prévoit des tarifs incitatifs pour l’utilisation de l’électricité. Il s’agit de favoriser financièrement l’utilisation de l’électricité au moment où l’électricité est abondante et bon marché. La CWaPE a approuvé une méthodologie tarifaire incluant ces orientations politiques et qui conduira à proposer dès le 1ᵉʳ janvier 2026 des tarifs de distribution plus faibles, notamment durant les heures solaires, pour tous les consommateurs en basse tension. Ceci est de nature à réduire les surtensions, et donc les décrochages d’onduleurs. Par ailleurs, le Gouvernement a approuvé en première lecture un arrêté prévoyant une indemnisation à charge des GRD pour les prosumers qui rencontreraient des décrochages. Le but n’est pas d’indemniser de façon importante, mais bien de rappeler les obligations de chacun et d’inciter les GRD à mettre tout en œuvre pour résoudre rapidement les décrochages identifiés. Quant aux éventuelles tensions qui pourraient exister entre les GRD et le régulateur sur l’utilisation des moyens financiers disponibles, il ne me revient pas de les commenter, c’est de la compétence exclusive du régulateur. Monsieur Hermant, je vous remercie pour vos commentaires. Vous semblez cependant oublier que le Gouvernement a attribué, comme je le disais, ces 214 millions d’euros aux GRD pour les aider précisément à moderniser leur réseau. On ne peut donc pas dire que les GRD sont laissés face à leur réalité. La CWaPE approuve en effet les tarifs des gestionnaires de réseau. Vous citez des augmentations importantes alors que la réalité nous apprend que les tarifs de distribution depuis de nombreuses années évoluent moins vite que l’inflation. Les prix de l’énergie ont effectivement augmenté de façon importante il y a deux ans, mais pas la composante réseau qui est restée stable. Si la commodité a augmenté de façon conjoncturelle, c’est lié à une situation mondiale sur laquelle nous n’avons pas d’influence. Cette augmentation de la commodité a pu conduire à certains surprofits pour des producteurs locaux qui ont pu vendre l’électricité produite à un prix supérieur sans que leur coût ait augmenté dans une proportion équivalente. Ces surprofits ont été taxés à 100 % par l’autorité fédérale. Cette taxation est toujours présente, mais les surprofits ont diminué ou disparu suite à la baisse des prix de l’électricité. Enfin, vous mettez en parallèle les bénéfices qu’une société multinationale fait au niveau mondial avec les factures des seuls consommateurs wallons. Cette comparaison n’est évidemment pas pertinente. En ce qui concerne l’indemnisation en cas de décrochage, comme vous le mentionnez, la proposition initiale de la CWaPE prévoyait un montant de 12,31 euros par kilovoltampère. Lorsque j’ai déposé le texte sur la table du Gouvernement, j’ai proposé le doublement de ce montant parce que je pensais qu’il fallait un signal clair vis-à-vis des prosumers, et également vis-à-vis des GRD. Dans la discussion du Gouvernement, il a finalement été décidé que ce montant sera à nouveau doublé pour avoir une indemnisation plus importante des prosumers décrochés. Selon les estimations du Gouvernement, ceci devrait coûter 4,75 millions d’euros par an au total, tous GRD confondus. Il est prévu que cette mesure d’indemnisation dure deux ans, soit durant les années 2024 et 2025. C’est une mesure temporaire qui vise à donner le temps aux GRD de prendre les mesures nécessaires. Je rappelle par ailleurs que les GRD disposent de leur budget validé par la CWaPE, mais également, grâce au plan de relance et à RepowerEU, d’une enveloppe supplémentaire de 214 millions d’euros consacrée à des projets liés à la transition énergétique. Pour ce qui concerne la demande d’indemnisation – à ce stade en première première lecture, il y a encore des étapes pour ce texte –, le prosumer victime de décrochages devra faire cette demande au gestionnaire de réseau dans les 15 jours de son décrochage. L’indemnisation n’est donc pas automatique. Il faut faire cette demande d’indemnisation dans les 15 jours du décrochage. Lorsque le dossier de demande sera complet, le gestionnaire de réseau se renseignera sur les différentes solutions possibles à mettre en œuvre pour régler le problème du décrochage. L’objectif n’étant pas l’indemnisation, mais l’arrêt des décrochages. Si le problème persiste et n’a pas pu être réglé dans les quatre mois de la demande d’indemnisation, alors le prosumer victime de décrochage est indemnisé. Il y a différents garde-fous. L’indemnisation se fera au prorata de la puissance d’installation du prosumer pour l’année. En ce sens, c’est forfaitaire. Concernant les responsables du financement de cette indemnité, Monsieur Crucke, ce sont effectivement les GRD. Ils devront en tenir compte dans leur budget. En ce qui concerne les remarques qui proviennent des GRD et de la CWaPE, les GRD considèrent que l’indemnisation prévue est trop importante et que les moyens dédiés au dédommagement se feront au détriment des investissements à faire dans le réseau. Le texte dont nous discutons a déjà fait l’objet d’une première lecture au Gouvernement. Maintenant, les GRD, la CWaPE, le pôle Énergie, l’Union des villes et communes de Wallonie ainsi que BeProsumer ont été sollicités pour remettre un avis sur ce texte en vue de sa seconde lecture au Gouvernement. La volonté première de ce texte est bien de solutionner les problèmes de décrochage en adaptant le réseau là où il fait défaut. L’indemnisation n’intervient que si aucune solution n’a pu être trouvée dans les quatre mois. Je tiens à préciser également que le projet d’arrêté d’indemnisation ne prévoit pas une indemnisation dès le moment où le décrochage est constaté. Il faut aussi que le décrochage résulte d’une surtension sur le réseau dont on sait attester via le compteur communicant. Il peut y avoir aussi de mauvais réglages d’installations particulières, et cetera. Dans tous les cas, le GRD dispose encore de quatre mois pour résoudre le problème. Si le décrochage est occasionnel, le GRD n’aura pas trop de difficultés à résoudre le problème. Parfois, il s’agira simplement de réduire légèrement la tension de départ au poste de transformation. Dans ce cas, il n’y aura pas d’indemnisation qui sera due et le problème ne se reproduira pas non plus. Dans les cas plus importants – décrochage fréquent ou de longue durée – la solution ne pourra pas toujours être mise en œuvre dans le délai de quatre mois. De nouveau, l’indemnité n’est pas automatique et le GRD peut l’éviter en résolvant le problème. Je vous rejoins sur le fait qu’une indemnité basée sur les pertes réelles serait préférable. Cependant, cette détermination n’est aujourd’hui pas possible avec les équipements certifiés disponibles, à moins d’exiger des ressources très importantes pour les GRD en matériel spécifique et en personnel, ce qui serait alors de nature à entraver leur action. Il n’est pas exclu que, dans un avenir proche, des outils domotiques soient disponibles et agréés. Ils pourraient établir les pertes de productible de façon simple et efficace. Si cela a lieu, les mesures pourraient être adaptées en conséquence. Concernant l’impact sur le financement des réseaux, je ne peux marquer mon accord sur les affirmations des GRD qui prétendent que les indemnisations vont automatiquement réduire les moyens disponibles pour améliorer leurs réseaux. La CWaPE a accepté un revenu autorisé en vue de réaliser une série d’actions prévues, notamment dans le Plan d’adaptation du réseau. Les indemnisations éventuellement versées ne limitent pas la contrainte pesant sur le GRD de réaliser ce qui était budgété. Si la CWaPE constate que certains travaux prévus ne se réalisent pas, cela pourrait conduire à une diminution de cette enveloppe. Si les indemnisations devaient être trop importantes du à l’incapacité du GRD de résoudre les problèmes générant les décrochages, leurs actionnaires seraient pénalisés. Enfin, en ce qui concerne le compteur communicant, c’est un outil précieux pour attester d’une surtension sur le réseau et mettre en évidence la responsabilité du GRD. En effet, un décrochage peut résulter aussi d’un mauvais réglage de l’onduleur ou d’une perte de tension au sein de l’installation intérieure, ce qui exonère alors le GRD de la responsabilité du problème. En l’absence d’un compteur communicant, d’autres équipements devront être placés par le GRD chez l’utilisateur – ce qui est susceptible d’entraîner des frais supplémentaires. Pour mémoire, le placement d’un compteur communicant est désormais gratuit pour l’utilisateur. Messieurs les Députés, j’espère avoir répondu à l’ensemble des questions qui étaient nombreuses sur ce sujet sensible, mais aussi technique.
Réplique de N. Janssen. – Concernant la capacité du réseau et sa nécessaire modernisation, mon groupe a pris bonne note des pistes de financement que vous avez évoquées, en particulier la possibilité d’une participation directe de la Région dans les GRD, à laquelle nous sommes tout à fait tout à fait favorables. Merci pour l’ensemble de ces éléments de réponse. Plus globalement, il est certain qu’il est vraiment urgent que les GRD modernisent leur réseau, qu’ils ont trop tardé à investir et qu’il est donc normal que les citoyens soient pleinement et suffisamment dédommagés.