QO 20/01/25 à la Ministre Glatigny : Transition numérique adaptée et équilibrée dans l’éducation
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Question (Nicolas Janssen). – Les débats sur l’impact du numérique dans l’éducation continuent de susciter de vives préoccupations en Europe et à travers le monde. Les rapports de l’UNESCO et du Programme international pour le suivi des acquis (PISA), ainsi que d’autres rapports d’experts en Espagne, « Informe delcomité de personas expertas para el desarrollo de un entorno digital seguro para la juventud y la infancia » (octobre 2024), en France, « Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu » (mai 2024), et au Québec, « L’Utilisation des écrans en contexte scolaire et la santé des jeunes de moins de 25 ans : effets sur la cognition » (novembre 2023), par l’Institut national de santé public du Québec, soulignent les risques liés au basculement vers le « tout au numérique », tels que la diminution de l’attention, les impacts cognitifs sur la mémoire et l’apprentissage, ainsi que les impacts environnementaux d’une surconsommation des outils numériques. Des pays comme la Suède font marche arrière et reviennent à une utilisation généralisée des supports papiers dans les petites classes. On le voit : à une époque où le numérique est souvent porté aux nues, nous devons faire preuve de discernement et considérer non seulement les opportunités qu’il offre, mais également les défis et les risques qu’il impose à nos élèves, à notre système éducatif et à la société dans son ensemble, en tenant compte des effets individuels et collectifs, au delà de la seule réalité scolaire. La Fédération Wallonie-Bruxelles doit veiller à garantir une transition numérique adaptée.
Madame la Ministre, alors que le droit à la déconnexion est reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les membres du personnel, et de plus en plus reconnu comme une nécessité en général, comment la Fédération Wallonie-Bruxelles prévoit-elle d’intégrer cette dimension dans sa politique éducative ? Devant cette responsabilité collective, comment s’assurer que les pouvoirs publics jouent pleinement leur rôle : l’école doit agir, car les jeunes et les parents, dépassés et généralement trop peu informés, ignorent comment décider seuls.
La Fédération Wallonie-Bruxelles suit-elle ces recommandations issues des travaux de l’UNESCO, des évaluations PISA, des rapports éloquents remis en Espagne ou en France, ou encore des pratiques observées en Suède, qui tendent à privilégier un retour au papier pour les journaux de classe et d’autres activités pédagogiques essentielles, afin de préserver la mémoire, l’attention et la motricité fine des élèves ? Comment atteindre ce juste milieu ?
En outre, afin de se prémunir d’une vision en silo de cette question, ne serait-il pas opportun d’organiser une conférence interministérielle, notamment avec vos homologues flamands, afin d’aborder les aspects sanitaires, cognitifs, éducatifs et sociétaux de la transition numérique ?
Mme Valérie Glatigny, première vice-présidente et ministre de l’Éducation et de l’Enseignement de promotion sociale. – Depuis 2017, le numérique a été massivement introduit dans le système scolaire suédois, à la fois comme objet et support d’apprentissage. En apprenant à utiliser une tablette ou à programmer un robot dès l’école maternelle, l’objectif initial était de former les élèves le plus tôt possible aux compétences numériques. Toutefois, cette démarche du « tout au numérique » atteint actuellement ses limites, comme vous l’avez souligné, Monsieur le Député.
L’apprentissage du numérique et à l’aide du numérique est également une priorité en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais la situation est différente. La transition numérique du système éducatif se matérialise par l’adoption de mesures et de dispositifs propres à chaque niveau d’enseignement en vue de répondre à la mutation structurelle de notre société. Ces mesures visent notamment à investir dans les savoirs et compétences numériques afin d’accompagner les acteurs de l’éducation dans leurs usages techno-pédagogiques, de fournir un accès à l’équipement et aux contenus nécessaires et d’assurer à tous les apprenants des chances égales d’émancipation sociale en les préparant à être des citoyens responsables.
Afin d’appuyer cela, le Service général du numérique éducatif (SGNE) a été créé au sein de l’Administration générale de l’enseignement (AGE) et des moyens lui ont été alloués pour soutenir la transition numérique de manière transversale, tous niveaux d’enseignement confondus. Selon l’approche adoptée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’usage du numérique doit servir en priorité à soutenir des objectifs pédagogiques, à apporter une plus-value aux apprentissages et à développer la « littératie » numérique des élèves. Ce terme recouvre des compétences numériques, mais aussi la faculté d’appliquer celles-ci avec recul, discernement et esprit critique.
Ces aspects sont couverts dans les référentiels de formation manuelle, technique, technologique et numérique (FMTTN). Il s’agit, par exemple, de l’utilisation sociale, citoyenne et éthique des médias numériques ou encore, dans le référentiel d’éducation physique et à la santé, de la surconnexion. De la troisième année primaire à la deuxième année secondaire, l’élève est appelé à déterminer, dans sa vie quotidienne, des points forts et des points faibles par rapport à un style de vie sain, notamment en étant sensibilisé à l’influence négative du temps passé devant un écran.
Afin de soutenir ces apprentissages, différentes ressources pédagogiques ont été mises en ligne sur la plateforme e-classe. Il s’agit notamment d’un carnet du Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) proposant des pistes pour développer l’esprit critique des élèves face aux influenceurs, mais aussi d’un dossier intitulé « Assuétude numérique » contenant une trentaine de ressources, dont des jeux à réaliser en classe, des fiches pédagogiques et des brochures informatives pour alimenter les réflexions et permettre aux enseignants de sensibiliser les élèves à cette thématique.
De plus, les effets néfastes de la surexposition aux écrans et de la surconnexion font l’objet d’une sensibilisation. Yapaka, qui coordonne la prévention de la maltraitance en Fédération Wallonie-Bruxelles, organise régulièrement des campagnes de sensibilisation sur le sujet, accompagnées de matériel informatif et pédagogique élaboré par des experts. La dernière de ces campagnes, organisée en 2023, était intitulée « Ne laissons pas les écrans faire écran » et s’adressait aux parents et au grand public comme aux professionnels de l’éducation et de l’enfance. Elle reprenait, issue d’une campagne précédente, l’idée des seuils d’âge « 3-6-9-12 », c’est-à-dire 3 ans, 6 ans, 9 ans et 12 ans, pour permettre aux enfants d’accéder respectivement aux écrans, à une console de jeu, à internet et aux smartphones. Ces campagnes proposent aussi régulièrement un équilibre entre l’utilisation d’écrans et la pratique d’autres activités.
En plus de ces référentiels et des ressources soutenant les apprentissages de manière structurelle, la Fédération Wallonie-Bruxelles compte aussi des projets relatifs à l’équipement numérique. Ces initiatives tiennent compte de toutes les recommandations susmentionnées; de plus, le SGNE adopte, dans ses publications, une position équilibrée face au numérique et à ses usages en proposant, dans une approche d’esprit critique, des sujets d’information et de sensibilisation : la fracture numérique, l’impact environnemental du numérique ou encore le rapport des filles au numérique, étant donné le désinvestissement de ce public par rapport à certaines filières.
De plus, parmi ses travaux en cours, le SGNE élabore notamment une publication destinée aux écoles, laquelle porte sur le bien-être numérique et vise à expliquer les thèmes liés à la déconnexion numérique : temps d’écran recommandé, cyberdépendance, droit à la déconnexion, place du smartphone à l’école, usage raisonné du numérique ou encore fear of missing out (FOMO), c’est-à-dire la peur de manquer quelque chose suivie d’un comportement addictif pour maintenir des connexions sociales. Bien entendu, cette publication évite toute diabolisation des outils. En outre, elle détaillera également les effets du numérique sur la santé physique et mentale des élèves afin de les sensibiliser aux mécanismes d’addiction. Elle donnera aussi des recommandations pour encadrer l’utilisation du numérique chez les jeunes avec, entre autres, des outils et des astuces. Ces publications sont systématiquement accompagnées d’une banque de ressources dédiée à la thématique abordée; celle-ci permet aux enseignants désireux d’aller plus loin de s’emparer des différents sujets.
Enfin, je m’en voudrais de ne pas mentionner d’autres décisions, en particulier l’interdiction de l’usage récréatif du smartphone dès la rentrée prochaine, qui vise à améliorer la concentration des élèves. En résumé, les questions que vous soulevez à propos d’une transition numérique adaptée et équilibrée dans l’éducation sont au cœur des référentiels de notre enseignement, des ressources mises à la disposition du public et de l’élaboration des politiques numériques éducatives.
Réplique de N. Janssen. – Madame la Ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de faire cet historique de notre positionnement sur les enjeux numériques, d’avoir présenté les risques, les opportunités, les pratiques recommandées tout en rappelant que la sensibilisation du public se poursuivait.