QO 20/09/22 à la Ministre Tellier : La stratégie intégrale sécheresse
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Question (Nicolas Janssen): Madame la Ministre, au cours de cet été et au moment de la rédaction de cette question, 19 communes wallonnes devaient réduire leur consommation d’eau à cause de la sécheresse. Ces problèmes localisés et temporaires s’expliqueraient largement par des défauts sur le réseau, notamment au niveau des infrastructures et connexions.
Quelles réponses peuvent être apportées à ces difficultés ? Quels sont les montants déjà investis ? Quelles sont les priorités apportées pour remédier à ces défauts ?
Selon Aquawal, la Wallonie est encore loin du niveau de stress hydrique. Confirmez-vous ce constat ? Est-ce bien votre analyse également ? Par ailleurs, les conditions climatiques de cet été démontrent une forte nécessité d’assurer un apport en eau, notamment pour l’agriculture.
La stratégie contient-elle, en plus d’actions « coup de poing » lors d’épisodes de sécheresse, des mesures plus structurelles et préventives ? Quels sont les priorités identifiées, les actions et les montants prévus afin d’assurer un apport en eau au secteur agricole ?
Réponse (Mme Céline Tellier) — Mesdames et Messieurs les Députés, vos questions posent les premiers jalons des importantes auditions consacrées à la sécheresse qui occuperont cette assemblée durant les prochaines semaines. Je me bornerai donc à rappeler quelques éléments factuels ici, sachant que nous aurons l’occasion d’échanges plus nourris très prochainement sur cet enjeu important. De façon générale, la Wallonie dispose d’un contexte hydrique globalement favorable. Elle dispose de ressources suffisantes pour répondre à la demande en eau de la population, de l’industrie et de l’agriculture. Cet avantage en matière de ressources est également un élément attractif pour des activités économiques et touristiques. Ce constat est valable pour la Wallonie dans son ensemble et en moyenne sur l’année. Néanmoins, comme bien d’autres régions du monde – de plus en plus nombreuses –, la Wallonie est touchée de près par les dérèglements climatiques : inondations meurtrières l’an dernier, sécheresse intense et canicule cette année, comme plusieurs années durant la dernière décennie.
Des stress hydriques peuvent dès lors apparaître, heureusement pour l’instant de manière encore localisée et temporaire. Ces épisodes peuvent être liés à une demande temporairement importante, en lien par exemple avec une fréquentation touristique ou à une baisse de précipitation dans des zones où il y a peu de stockage aquifère. Le dérèglement climatique accentue la variabilité des précipitations et des approvisionnements en eau de surface et souterraine. Dès le début de la législature, il m’est apparu crucial de prendre cet enjeu à bras-le-corps et de ne pas rester les bras croisés face à ces risques de sécheresse et de renforcer nos capacités collectives à y faire face. Outre la préparation de la stratégie intégrale Sécheresse, qui a été validée en juillet 2021 par le Gouvernement, j’ai souhaité que le Plan de relance de la Wallonie intègre des moyens budgétaires nécessaires à la mise en œuvre des priorités de cette stratégie intégrale Sécheresse. Un budget de 24 millions d’euros a dès lors été validé par le Gouvernement pour les actions prioritaires suivantes. Le premier projet du Plan de relance est l’amélioration de la performance des infrastructures publiques d’alimentation en eau potable.
Le Gouvernement a choisi de soutenir la lutte contre les fuites avant compteur au travers du projet 106 du Plan de relance, intitulé « Améliorer la performance des infrastructures publiques d’alimentation en eau potable ». La SWDE offre une solution dénommée « Easyconso » à tous les gestionnaires de bâtiments, notamment communaux, où que soit leur compteur en Wallonie. C’est une initiative à soutenir, il me semble, dans un contexte de tension sur les budgets communaux. Deuxième projet du Plan de relance : mettre en œuvre de nouvelles ressources en eau – re-use, recherche, et cetera – et de créer des réseaux d’alimentation décentralisés en eau, ainsi qu’améliorer l’infrastructure agroenvironnementale et mettre en place des structures de stockage d’eau et d’irrigation via l’aménagement foncier. Ces projets ont pour objectif la mobilisation de ressources en eau alternatives qui ne sont pas ou peu exploitables à ce jour. Il s’agit de garantir l’approvisionnement en eau de qualité adapté aux besoins agricoles et industriels en développant des modèles intégrant les eaux usées traitées par station d’épuration, les eaux d’exhaure – les eaux de carrière –, les eaux de démergement, les eaux de nappes alluviales ou les eaux pluviales. Trois projets pilotes de recherche et développement vont débuter afin de permettre la maîtrise des risques éventuels sur base des retours d’expérience. Outre ces budgets, il est aussi important et grand temps de restaurer les zones humides et d’augmenter la résilience des sols agricoles. Des budgets sont également prévus à cet effet dans le cadre du Plan de relance de l’ordre de 10 millions d’euros supplémentaires. Par ailleurs, en ce qui concerne les 19 et in fine 23 communes qui ont édicté des restrictions d’usage de l’eau cet été, le constat a été fait cette année qu’elles sont souvent alimentées par des aquifères qui emmagasinent peu d’eau, par exemple les nappes du massif schisto-gréseux ardennais, ou des rivières qui subiront dorénavant de sévères étiages d’été. Un renforcement du schéma régional des ressources en eau, piloté par la SWDE, est en conséquence à l’étude pour augmenter encore la sécurisation des réseaux publics de distribution d’eau dans cette région. En ce qui concerne les pompages, plus spécifiquement dans les voies hydrauliques, je suis consciente qu’il a aussi manqué d’eau cette année et que les éclusages ont dû être regroupés, mais je me permets de vous renvoyer, Monsieur le Député, plus spécifiquement vers mon collègue, le ministre Henry, en charge des Voies navigables pour ce qui le concerne.
En ce qui concerne les prélèvements ou pompages dans les cours d’eau non navigables, dont une partie – les cours d’eau de première catégorie – est de compétence régionale, il faut en effet se baser sur le droit de riveraineté issu du Code civil. L’ancien Code civil encadrait le droit de riveraineté pour les prises et prélèvements d’eau en son article 644. Désormais, le nouvel article 3130 du Code civil consacre également ce droit de riveraineté et prévoit que « le propriétaire d’une source ou le riverain d’un cours d’eau peut utiliser l’eau uniquement pour ses propres besoins, à condition qu’il ne modifie pas de manière substantielle le cours, la quantité et la qualité de l’eau. Il ne peut porter préjudice au droit des propriétaires voisins par cette utilisation ». Le droit de riveraineté permet aux riverains de se servir de l’eau à son passage, non seulement pour l’irrigation des propriétés riveraines du cours d’eau, mais aussi pour les autres besoins domestiques, industriels ou agricoles, pour autant qu’ils ne nuisent pas au cours d’eau. En principe, ce droit de riveraineté n’appartient qu’aux seuls riverains du cours d’eau, mais ce droit peut être cédé à un tiers, sous certaines conditions, et ne peut en principe pas être réalisé depuis la voie publique. À l’avenir, les prélèvements saisonniers seront soumis à déclaration préalable auprès du gestionnaire de cours d’eau non navigables, éventuellement assortie de conditions particulières, sauf pour les prélèvements réalisés pour l’abreuvement du bétail, qui ne seront pas soumis à déclaration, mais devront respecter des conditions. Ces conditions viendront en complément du droit de riveraineté, qui ne disparaît pas. En revanche, et même s’il n’y a pas d’autorisation à donner au sens strict pour l’instant, le droit de riveraineté ne dispense pas de respecter certaines conditions. En effet, le gestionnaire du cours d’eau peut toujours remettre un avis ou donner des instructions quant aux prélèvements réalisés dans son cours d’eau. En résumé, si une personne dispose du droit de riveraineté et qu’aucun danger ne menace le cours d’eau, il pourra procéder au prélèvement d’eau, moyennant conditions éventuelles imposées d’office ou sur demande par le gestionnaire du cours d’eau. Celui-ci conserve la possibilité de mettre fin à un prélèvement en cas de menace grave pour la protection ou la gestion du cours d’eau. En ce qui concerne les eaux souterraines, avec les années sèches rencontrées depuis 2017, nous avons constaté une augmentation des demandes de forage par des agriculteurs pour de l’irrigation. Il faut néanmoins relativiser l’importance quantitative de ces demandes, puisqu’on ne recense actuellement qu’une centaine de prises d’eau pour de l’irrigation agricole, avec un volume prélevé total, en 2020, de 1 100 000 mètres cubes. Il s’agit de la dernière année sèche rencontrée, les chiffres pour 2022 ne seront disponibles que fin 2023. En tous les cas, il convient néanmoins d’y être attentifs. C’est pourquoi chaque forage fait l’objet d’une demande de permis en classe 2, et l’administration est particulièrement attentive à fixer les débits maximum autorisés strictement nécessaires lorsqu’elle accorde ces dérogations, cette autorisation, ce qui n’est pas toujours le cas. Les périodes d’irrigation permises dans la journée sont également fixées par une condition particulière du permis. Par ailleurs, comme je viens de le rappeler, la stratégie intégrale Sécheresse, le Plan de relance ainsi que la stratégie Circular Wallonia convergent pour prévoir des projets de valorisation de nouvelles ressources, notamment des eaux usées épurées ou des eaux d’exhaure par exemple pouvant être mises à dispositions pour des usages agricoles. Consciente des enjeux, l’administration vient de créer un groupe de travail transversal spécifique à l’irrigation dans le cadre de la stratégie intégrale Sécheresse. La première réunion est fixée au 22 septembre prochain. En ce qui concerne le projet évoqué par Mme la Députée dans l’introduction de sa question, je confirme qu’un projet de modification décrétale définissant un cadre général de priorisation des usages de l’eau va être déposé tout prochainement pour une première lecture au Gouvernement. Cette modification décrétale du Code de l’eau confiera également au Gouvernement la mise en place des zones d’alerte, des seuils d’alerte, le mode de déclenchement et de lever de ces mesures. En ce qui concerne l’usage carwash, la polémique que vous soulevez ne m’est pas connue. Je peux toutefois préciser que bon nombre de carwashes sont équipés de dispositifs de recyclage d’eau, dont l’impact en termes de consommation est minime, probablement moindre qu’un lavage à domicile. Néanmoins, cette question pose plus largement celle de la priorisation des usages de l’eau en cas de stress hydrique. Nous y reviendrons donc dans le cadre de ce décret.
Enfin, la Cellule Sécheresse du Centre de crise régional s’est réunie le jeudi 8 septembre dernier. Aucune mesure complémentaire n’a été prise par rapport aux recommandations qui avaient déjà été faites lors des réunions précédentes au vu de la situation météorologique qui s’est améliorée, avec des prévisions de pluie dans les jours suivants. Elle se réunit néanmoins encore ce 20 septembre pour refaire le point sur la situation.